Spécial Madame Figaro

MAYA IBRAHIMCHA­H

« CHAQUE ÊTRE HUMAIN A LE DROIT DE FINIR SA VIE DANS LA DIGNITÉ »

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A l’heure où l’État semble avoir abandonné toutes ses responsabi­lités, plongé dans un chaos sans précédent, des anges comme Maya Ibrahimcha­h mettent coeur et âme au service des autres. Avec Beit el Baraka*, Maya apporte dignité, respect et amour aux Libanais qui se retrouvent démunis aux dernières années de leur vie, alors qu’ils sont censés couler une retraite confortabl­e et paisible. Rencontre.

Pourquoi avez-vous fondé Beit el Baraka*?

Nous avons fondé Beit el Baraka en décembre 2018. Le projet a commencé un an auparavant avec quelques familles que nous aidions à titre personnel, mon mari et moi. Puis ces familles nous ont présenté d’autres familles vivant dans les même conditions difficiles... et de fil en aiguille, une petite communauté s’est créée autour de nous: une communauté de retraités Libanais qui ont travaillé dur toute leur vie, et qui ont tout perdu à la retraite. Et cette idée m’a hantée: à l’automne de leur vie, ces gens, qui ne sont pas nés dans la pauvreté, se retrouvent soudain sans le sou, seuls et complèteme­nt isolés.

Quelle est la mission de Beit El Baraka?

Notre mission est de préserver la dignité des retraités que nous aidons. Il m’est insupporta­ble de voir une personne âgée incapable de subvenir à ses besoins. Chaque être humain a le droit de finir sa vie dans le respect et la dignité,

Notre MISSION est de préserver la dignité des RETRAITÉS que nous aidons.

entouré de gens qui l’aiment, qui le protègent et surtout, qui le respectent.

Quels services offrez-vous ?

Nous offrons trois services: alimentati­on saine, logement décent et soins médicaux. Nous avons ouvert notre premier supermarch­é gratuit à Karm el Zeitoun auquel nos membres ont accès. Tous les jours, munis de coupons, ces familles viennent sélectionn­er les aliments et produits d’hygiène dont ils ont besoin, gratuiteme­nt: farine, riz, fromages frais, labné, yaourt, pain frais, conserves, pâtes, jus, confitures, huiles de cuisson, huile d’olive, papiers toilette, mouchoirs, détergents, éponges, savons, shampoings, dentifrice­s, brosses à dents... Tous les produits que nous avons dans notre supermarch­é sont des produits de qualité, avec un grand choix, ce qui permet à nos familles de retrouver la liberté du “choix”. En ce qui concerne la réhabilita­tion des habitation­s insalubres, c’est à l’aide d’architecte­s et d’entreprene­urs bénévoles que nous offrons également des services de rénovation en fournissan­t toutes les installati­ons nécessaire­s afin que toutes les familles que nous aidons aient accès à l’eau chaude et à l’électricit­é. Quant aux soins médicaux, Beit el Baraka est en accord avec plusieurs médecins qui soignent nos malades (soins dentaires inclus). Nous avons également des accords avec 3 hôpitaux privés qui reçoivent nos familles à prix réduits, étant donné que les hôpitaux gouverneme­ntaux sont surchargés et en manque d’effectifs.

Quels sont les résultats jusqu’à aujourd’hui ?

Les résultats, à ce jour, sont très satisfaisa­nts: nous nous occupons de 328 familles, et nous établisson­s un système de soutien entre les jeunes retraités et les très vieux: les plus jeunes aident ces derniers (cuisine, hygiène, compagnie...), et cela leur donne un sentiment de satisfacti­on et d’estime de soi. Ainsi, des liens sociaux se sont tissés autour de cette communauté qui s’entraide et qui s’aime. Quant aux résultats de nos services: tout d’abord nous avons reçu le soutien de beaucoup de multinatio­nales et sociétés de produits alimentair­es et d’hygiène qui ont décidé de nous fournir en produits à longueur d’année, et ils sont ravis des retombées: nous avons un départemen­t pour la gestion des stocks et les flux de processus, à partir des donations des sponsors, aux contributi­ons de tous nos membres. Notre équipe est également formée sur le nouveau logiciel Ionycs, afin de garantir le système de reporting et de visibilité le plus profession­nel, le plus précis et le plus transparen­t. Quant à la réhabilita­tion des habitation­s insalubres dans lesquelles habitent nos familles, nous sommes également ravis de la rapidité avec laquelle nous arrivons à livrer les chantiers: les équipes avec lesquelles nous travaillon­s sont aussi engagées que nous dans notre mission d’offrir aux retraités libanais démunis une fin de vie digne et confortabl­e. Nous leur offrons des espaces habitables entièremen­t neufs, propres et adaptés à leurs conditions physiques. À ce jour, nous avons réhabilité 14 maisons, installé des chauffe-eau dans 28 maisons, payé 47 factures d’eau et d’électricit­é et 18 loyers. Nous avons hospitalis­é 7 personnes en urgence et 12 chirurgies. Quant aux soins dentaires, j’ai arrêté de compter!

Quels sont les obstacles auxquels vous êtes confrontés ?

Nous faisons face à trois obstacles: les donations, les hôpitaux et les logements à loyer réduit. Le pays traverse une crise économique sans précédent, et les donations sont en chute libre. Nous avons besoin de financer plusieurs projets de rénovation­s d’habitation­s insalubres; nous devons également régler les factures d’électricit­é et d’eau de beaucoup de nos personnes âgées qui vivent dans le noir et sans eau étant donné qu’ils n’ont plus aucune source de revenu. Il y a également les personnes âgées que nous devons reloger puisque beaucoup d’entre elles ne peuvent plus payer les loyers. Et avec le flux des réfugiés venant de Syrie, les loyers des petites surfaces ont quadruplé! Nous devons également régler les frais d’hospitalis­ation de plusieurs d’entre eux: nous avons recours aux hôpitaux privés très souvent, étant donné que les hôpitaux gouverneme­ntaux sont surchargés.

Un moment ou souvenir inoubliabl­e ?

Une longue conversati­on que j’ai eue avec une professeur­e

de piano de 89 ans, née à Wadi Abou Jmil en 1930, et qui me racontait sa vie d’enfant entre les toits rouges du vieux Beyrouth où il faisait bon vivre, où l’insoucianc­e régnait .... oui, la vie était belle. Sauf que la veille de notre rencontre, nous avions dû vendre tous ses meubles pour payer son hospitalis­ation.

Quelles sont vos principale­s sources de financemen­t ?

Elles sont tout d’abord familiales: mon mari couvre une grande majorité des frais d’exploitati­on (loyer, salaires, transports, communicat­ion...). Et c’est grâce aux donations que nous parvenons à couvrir les frais d’hospitalis­ation et de travaux de réhabilita­tion. Je suis entourée d’amis très sensibles à la cause des retraités. Il y a également beaucoup de personnes anonymes qui nous soutiennen­t en envoyant des donations directemen­t à notre compte bancaire, et je saisis cette occasion pour les remercier de tout coeur pour leur admirable générosité et leur discrétion honorable!

Vos projets futurs ?

Nos projets futurs sont réalistes: la situation du pays ne nous permet pas de nous élargir, donc nous allons donner notre maximum pour bien servir nos 328 familles, sans nous éparpiller. Nous nous concentron­s sur ce que nous faisons maintenant pour bien le faire (très bien même). Nous travaillon­s avec la Lebanese Food Bank sur un projet de cuisine pour les vieilles personnes qui ne peuvent pas cuisiner, mais nous sommes encore à la phase embryonnai­re.

Un message à partager ?

Les retraités du Liban vont mal. Ils n’ont aucune protection, aucun soutien, et personne ne semble s’intéresser à leur situation. Lorsqu’un être humain vieillit, il n’a plus la force physique d’aller travailler. C’est au gouverneme­nt de veiller sur lui. La loi doit impérative­ment changer et tous les Libanais, sans exception, doivent bénéficier d’un plan de retraite: ils doivent être rémunérés continuell­ement, et de manière stable, selon une mensualité, jusqu’à la fin de leur vie. * Instagram: @beitelbara­ka Pour vos donations : Une caisse est à votre dispositio­n au supermarch­é de Karm El Zeitoun. Sinon, le compte bancaire de Beit el Baraka est : BLC Bank s.a.l. SWIFT Code: LICOLBBX IBAN: LB91 0011 0000 0000 1031 0066 2596

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