QUINCADOS la prise d’adolescence
FACE AUX INJONCTIONS DE L’ÉPOQUE, L’ÂGE ADULTE PERD DE SA SUPERBE. LES QUINQUAS L’ONT BIEN COMPRIS. ILS S’OFFRENT UNE SECONDE JEUNESSE, L’EXPÉRIENCE EN PLUS !
QU’ EST - IL ARRIVÉ À L’ÂGE ADULTE ? Alors que les adulescents ont été intronisés très récemment dans le Larousse – qui reconnaît là le «jeune adulte qui continue à avoir un comportement comparable à celui qu’ont généralement les adolescents»-, voici venus les «quincados», décrits par le sociologue Serge Guérin (son enquête récente est parue aux Éditions CalmannLévy). Désormais, lorsqu’on dit d’une femme ou d’un homme qu’elle ou il est dans l’« âge mûr », c’est le début de la fin. Et l’âge adulte, lui, tend à
devenir une sorte d’intermède peu aimable, difficile à zapper totalement et affreusement barbant. Un état dans lequel on entre à reculons le plus tard possible et duquel on se carapate dans la joie dès qu’on le peut.
LA PART DU RÊVE
CETTE HANTISE DE LA ROUTINE MORTIFÈRE n’est certes pas nouvelle. Comment Freud décrivaitil, en 1916, la mue de l’ado en adulte? Comme le résultat de la «progression du principe de plaisir en principe de réalité ». Hum! S’effrayer de voir le champ des possibles rétrécir inexorablement est un classique du doute existentiel, depuis au moins la fin du XIXe siècle. Cependant, cahin-caha, la plupart finissaient par s’accommoder de cette atrophie inéluctable, sur l’air de «Ce n’est pas comme si on avait le choix». Mille héros de films ou de romans étaient heureusement là pour faire de grosses crises cathartiques de milieu de vie à notre place. Alors pourquoi la rébellion grondetelle aujourd’hui plus fort qu’hier? Pour Serge Guérin, défenseur zélé des quincados, c’est très simple. « Le consentement aux renoncements de l’âge adulte était fondé sur un contrat implicite: quand on se «rangeait», on perdait, certes, en liberté, mais on gagnait en stabilité, en sérénité et en… solvabilité.» Or, en 2019, qui peut prétendre à la moindre durabilité ? «Les couples se défont (près d’un mariage sur deux finit par un divorce), les carrières aussi, poursuit le sociologue. Il n’est pas rare que les quinquagénaires partagent les angoisses de leurs enfants: ruptures fracassantes, errements amoureux, instabilité professionnelle, pénurie d’argent… À partir de là, si l’on n’a plus aucun des avantages présumés de l’adulte, n’est-il pas normal de ruer dans les brancards ? » Et d’aspirer, en contrepartie, au retour de quelques privautés de la jeunesse ? La part du rêve n’étant pas la moindre. « Des ados qui auraient le sens du tragique, voilà ce que sont les quincados ! » Jolie définition qui mettra du baume au coeur à tous ceux qui ont récemment fait de la trottinette électrique à deux… Pour la psychothérapeute Jeanne Siaud-Facchin*, ce désaveu de l’âge adulte n’est guère surprenant. « Les enfants disent souvent, depuis toujours: “Quand je serai grand, je ferai ce que je veux.» Or, avec les responsabilités qui s’accumulent, un adulte fait évidemment de moins en moins ce qu’il veut », décrypte-t-elle. Cette «escroquerie historique», avec son lot de désillusions, n’est pas récente. Ce qui l’est, c’est la pluie d’injonctions inédites qui s’est abattue ces dernières années sur les pauvres adultes ! « On ne peut plus se contenter d’être juste un parent aimant et concerné. On doit être un parent exceptionnel, avec un engagement permanent et intense. C’est pareil dans la vie – professionnelle ou amoureuse. Tout est si lourd, si complexe, si «challengeant», et si effrayant parfois, y compris se nourrir! Quoi de plus normal que d’avoir envie de s’enfuir, à 29 ou à 55 ans, nez au vent, sur son scooter rose, avec un casque assorti ! » Avec Angèle ou Clara Luciani dans les écouteurs…
ON NE FAIBLIT PAS !
LA PLUS PERVERSE DE CES INJONCTIONS qui font l’époque est d’ailleurs que, au lieu d’apprécier benoîtement une forme d’établissement confortable, on est invité à tout âge à « continuer à rêver », à « choisir l’aventure », à « s’inventer une vie XXL », puis à la « réinventer » ensuite. Sous peine de passer pour un dinosaure complet… « Ajoutons à cela, pour parachever le désarroi général, tous ces mantras autour de l’agilité, du changement, du fait d’avoir plusieurs existences en une… Autant de mantras contradictoires, au fond, avec les représentations classiques de l’adulte. Cela n’aide pas… », poursuit notre experte. Jadis, il était interdit d’interdire. Il est désormais interdit de s’endormir ! C’est sans doute très bien. Mais un peu fatigant… * Auteure de « S’il te plaît, aide-moi à vivre », aux Éditions Odile Jacob.