Luxemburger Wort

Capitulati­on

- Par Gaston Carré

Billet

Combattre le virus», tel était le mot d’ordre. Jadis, il y a six mois, si longtemps, temps glorieux où la lutte contre la pandémie procédait d’un acte de guerre, au front avec Macron, qu’on suivit dans la bataille avec la ferveur des poilus qui en 1914 avaient quitté femmes et fermes pour courir à l’ennemi, sus au virus en forme de casque à boulons.

Six mois après notre ferveur s’estompe, car l’ennemi est debout encore, et les boulons déboulent de plus belle. Et déjà l’on peut entendre, montant des mornes plaines que le fléau a fauchées, de cette terre que la bête immonde a corrompue, l’appel à collaborer par quoi Pétain jadis fit de la France un pays vicié, honteux et pataud, un pays chafouin, chafouin oui, le dictionnai­re donne «sournois» mais chafouin c’est pire, c’est plus vilain, avec ses connotatio­ns de chaussette en accordéon sur le soulier.

Car ce mal qu’il y a quelques mois encore il fallait combattre voilà qu’il faut s’en accommoder – il faut «vivre avec le virus» nous dit-on maintenant, oui, vivre avec le virus, autant dire s’incliner, cirer les bottes de la bête, prêter allégeance à l’ordre nouveau. Fini les embuscades, les sabotages, l’empoisonne­ment par la cloroquine! Les suspects certes pourront être mis en quarantain­e, mais on ne pourra plus les torturer.

Comment «vivre avec le virus»? Jusqu’où faut-il donc s’abaisser? Faut-il livrer les factieux qui la nuit venue font la noce dans leurs caves, sachant que déjà montent les appels à la délation, et que des patriotes débridés n’hésitent plus à dénoncer des voisins démasqués? C’est Vichy sur le front de la pandémie, oui, c’est la honte, et Vichy de surcroît est d’un immense ennui.

Car si l’on peut vivre avec le virus désormais c’est qu’il est révolu l’état d’urgence, fini l’état d’exception. Le compagnonn­age auquel on nous invite signe un retour à la banalité et la banalité peut durer longtemps. Ah compagnons, qu’il était beau le temps de la mobilisati­on, Macron et l’appel aux armes, le salut au drapeau, la guerre quoi. Même au Luxembourg on s’émut, quand en ce pays où il ne se passe jamais rien on put s’inquiéter un peu, entendre siffler le boulet viral, le boulet à boulons. Nous avons eu chaud, quand on braqua sur nos fronts trop lisses le thermomètr­e qui trahirait l’ennemi, nous avons éprouvé une jubilation canaille, quand nous fûmes «zone à risque», nous qui jusqu’alors n’avions fait peur à personne, or voilà que le risque il faut vivre avec, vivre avec l’ennemi, en nos chaumières où le fléau va prendre ses aises, gemütlich, bottes sur la table du salon.

Vivre avec le virus! Nous sommes trois déjà à la maison, plus le chien, qui ne parle pas l’allemand. Faut-il vivre avec l’idée qu’en décembre il y sera encore, le céphalopod­e à piques, l’intrus sans gène? Qu’il nous occupera jusqu’à Noël, et qu’il faudra décorer nos sapins de ses boules à ventouses, les couronner de guirlandes de corona?

Il faudra s’armer alors. S’armer de patience, sachant que pour une libération ce n’est pas sur l’Amérique cette fois qu’on pourra compter, qui elle-même est occupée.

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