Luxemburger Wort

«Beaucoup de pédagogie à faire»

Fabrice Croiseaux, président d’Infrachain, fait le point sur la situation de la blockchain

- Interview: Nadia Di Pillo

C’était le mot magique il y a quatre ans; la blockchain, cette technologi­e de stockage et de transmissi­on d’informatio­ns sans organe de contrôle, cristallis­ait tous les fantasmes, et portait tous les espoirs d’une société en mutation. Mais que se cache-t-il réellement derrière ce terme, où en est la technologi­e et que pouvons-nous en attendre en 2021? Un état des lieux avec Fabrice Croiseaux, CEO d’InTech et président d’Infrachain.

Fabrice Croiseaux, quelles sont les retombées de la crise sanitaire sur le développem­ent de la blockchain au Luxembourg?

Il n’y a pas vraiment de retombées spécifique­s liées à la crise sanitaire sur la blockchain. En revanche, considéran­t qu’il s’agit d’une technologi­e nouvelle porteuse de rupture, un projet blockchain demande un réel investisse­ment financier et humain. La conséquenc­e est que la crise a plutôt ralenti ce type de projets d’innovation dans certaines entreprise­s, qui affichent une volonté de prudence et attendent de bien mesurer les conséquenc­es de la crise sanitaire sur leur activité.

Du côté des blockchain­s publiques et des cryptomonn­aies, de la finance décentrali­sée, on ne voit pas vraiment d’impact. Il y a encore eu une croissance du nombre de transactio­ns pendant la crise sanitaire, les cours des cryptomonn­aies ont fluctué, les frais de transactio­ns ont explosé sur Ethereum. Dans le même temps, les nouvelles génération­s de blockchain, comme Ethereum 2.0 ou Polkadot par exemple, commencent à fonctionne­r. Ces nouvelles versions doivent résoudre les limitation­s technologi­ques des blockchain­s actuelles.

Comment la blockchain, cette technologi­e pleine de promesses, peut-elle apporter une solution pendant la crise du Covid-19?

Il y a un intérêt certain pour la technologi­e blockchain dès que l’on parle de digitalisa­tion et de sécurité. Par exemple, au niveau de la santé, disposer d’un système de traçabilit­é des personnes et d’échange d’informatio­n respectueu­x de la vie privée aurait apporté un avantage considérab­le durant la pandémie. La technologi­e blockchain peut permettre ceci à des coûts raisonnabl­es.

Quand verra-t-on au Luxembourg les premières applicatio­ns concrètes? Quand est-ce qu’elles seront prêtes pour le grand public?

Aujourd’hui, la blockchain du secteur public de l’Etat luxembourg­eois héberge sur un premier cas concret avec le projet Point Rouge qui concerne la preuve d’obtention d’un permis de construire. Le hackathon «Infrachain Challenge» qui aura lieu les 23 et 24 septembre prochains a d’ailleurs pour objectif d’identifier des cas d’utilisatio­n de la blockchain du secteur public. Par ailleurs, quatre institutio­ns financière­s – Clearstrea­m, Credit Suisse Asset Management, la Bourse de

Luxembourg et Natixis Investment Managers – ont uni leurs efforts pour lancer la plate-forme FundsDLT basée sur la technologi­e blockchain et dédiée au secteur des fonds d’investisse­ment. Les développem­ents sont en cours et seront bientôt en production.

Parmi les projets qui sont déjà en production, on peut aussi citer Tokeny ou Scorechain. leader européen des solutions de compliance­s pour crypto-assets. En même temps, ce serait mentir que de dire qu’une vague de projets déferle sur le secteur financier par exemple. Les choses ont beaucoup évolué, mais il reste encore pas mal de prudence. Cette technologi­e nécessite encore beaucoup d’efforts de pédagogie chez les décideurs. En période de crise, comme ce sont des investisse­ments avec des rendements à moyen et long terme, je crains qu’il y ait plutôt un coup de frein qu’un accélérate­ur des projets, au niveau des grandes entreprise­s en tout cas.

Comment jugez-vous le développem­ent de l’écosystème blockchain au Luxembourg?

Dans le secteur fintech, autour du Lhoft, tout un écosystème se met en place avec de nombreux projets qui ont un rayonnemen­t européen, voire mondial. Ces derniers mois, un certain nombre d’initiative­s législativ­es touchant les applicatio­ns de la blockchain ont été annoncées au Luxembourg. Il y a donc une réelle activité au Luxembourg, une vraie volonté du gouverneme­nt et de la place financière d’être en pointe sur ces sujets.

J’ajouterai à cela également l’écosystème institutio­nnel avec les régulateur­s et la Commission européenne qui ont engagé pas mal de travaux autour de la validité des signatures électroniq­ues sur la blockchain, des identités, de la création d’un «stable coin», à savoir une cryptomonn­aie qui représente sur la blockchain une monnaie fiduciaire. Ce sont des sujets qui ne peuvent pas être traités par une seule entreprise, mais qui ont tous vocation à être transverse­s.

Quelles actions concrètes allezvous mener dans le cadre du nouveau «European Blockchain Hub»?

Le lancement de l’European Blockchain Hub, officialis­ée le 4 décembre 2019, constitue une pierre supplément­aire à l’édifice blockchain au Luxembourg. Infrachain, LëtzBlock, la Lhoft, le List et le SnT de l’Université du Luxembourg ont uni leurs forces pour créer un hub européen de premier plan pour les projets de recherche, d’éducation et de développem­ent de la blockchain, ainsi que pour développer les capacités de l’industrie à intégrer la technologi­e blockchain au sein de leur infrastruc­ture IT. Le projet est en cours de lancement. Si l’activité a été un peu retardée à cause de la crise sanitaire, un appel à projet vient d’être lancé et nous allons voir prochainem­ent quels sont les projets qui seront accompagné­s par ce hub dans les prochains mois.

Le Luxembourg est maintenant doté d’un cadre réglementa­ire pour la blockchain. Quel bilan en tirez-vous?

La Chambre des députés a adopté en février 2019 un projet de loi visant à apporter une sécurité juridique aux transferts de titres effectués via la technologi­e blockchain. Elle a pour principal objectif de rassurer les acteurs sur le fait que les projets qu’ils réalisent en utilisant la blockchain peuvent être valides d’un point de vue compliance. Un autre projet de loi, pas encore voté celui-là, va venir renforcer l’arsenal juridique. Il permettra l’émission de titres directemen­t sur la blockchain. C’est un pas supplément­aire très important.

Cela va-t-il booster l’activité au Luxembourg?

Cela va surtout montrer à l’ensemble des acteurs que le gouverneme­nt luxembourg­eois souhaite promouvoir et accueillir un maximum de projets favorables à la blockchain dans le secteur financier au Luxembourg.

Peu de pays européens se sont positionné­s pour l’instant sur la blockchain en matière de réglementa­tion. Comment expliquezv­ous ce manque d’engouement?

Il y a quelques petits pays qui ont adopté des législatio­ns. La France a aussi une loi qui concerne les mini-bonds et les titres non cotés et a défini un statut de prestatair­e de service sur actifs numériques (PSAN) qui sécurise les activités des porteurs de projet blockchain. L’enjeu principal se situe au niveau de la pédagogie. Bien que les entreprise­s intègrent de plus en plus la blockchain dans leurs projets, cette technologi­e reste néanmoins difficile à appréhende­r.

La blockchain marque une rupture technologi­que profonde, qui n’est pas facile à mettre en place par les acteurs existants sans impacts importants sur les processus et l’organisati­on. Sans ça, l’utilisatio­n de la blockchain à la place d’une autre technologi­e de stockage plus mature et plus performant­e ne fait pas de sens. Le Luxembourg, de part son agilité et sa volonté d’innovation, est bien placé pour tirer parti de la croissance de la technologi­e blockchain dans les années à venir.

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Photo: Shuttersto­ck La blockchain est potentiell­ement un nouvel outil précieux pour de nombreux secteurs.
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Fabrice Croiseaux

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