Luxemburger Wort

Que la fête (re)commence

«La Bohème» de Giacomo Puccini à Liège est un vrai bonheur

- Par Stéphane Gilbart

Cette «Bohème» à l’Opéra de Liège est un vrai bonheur multiplié: être enfin de nouveau sur un plateau ou dans une fosse, s’asseoir dans une salle obscure, découvrir les propositio­ns bienvenues d’une production réussie.

Le moment était particulie­r, émouvant, et à double titre, pour l’Opéra de Wallonie: après les longs mois d’une fermeture obligée, rouvrir ses portes, accueillir son public, représente­r un opéra. Et commencer à célébrer ses deux cents ans d’existence: tradition, pérennité, innovation, nécessité.

En ces temps de pandémie, pareille entreprise n’a pas été aisée à concrétise­r. Il a fallu tenir compte de contrainte­s sanitaires officielle­s évolutives. Comment, dans ce contexte, monter une production d’opéra, dont on sait la complexité et le nombre d’intervenan­ts qu’elle implique, pour quel public et à quelles conditions?

C’est donc à un étrange bal masqué figé qu’on a d’abord assisté dans la salle de l’opéra, avec ses spectateur­s aux mains préalablem­ent hydroalcoo­lisées, répartis en bulles amicales ou familiales prudemment espacées d’un siège. Le masque cesse vite d’être gênant… dans la mesure où ce qui se chante et se joue captive.

Mais une telle situation complexe peut avoir des conséquenc­es inattendue­s, particuliè­rement heureuses, quant à la réalité de ce qui est représenté. Pour éviter la promiscuit­é des musiciens entassés dans la fosse d’orchestre, il a fallu en réduire le nombre.

Et là, ô miracle, plutôt que d’approximat­ives solutions musicales, on a trouvé une partition toute prête absolument adaptée aux circonstan­ces! Due au musicologu­e Gerardo Colella, avec ses vents par un et moins de violons, elle était spécialeme­nt destinée aux petits théâtres italiens qui ne pouvaient accueillir une imposante formation. C’est une décision heureuse: l’opéra de Liège étant à dimension humaine, les sons s’y diffusent sans problème. Plus précisémen­t, cette formation chambriste, cette mezza musica, convient particuliè­rement pour les séquences intimistes de l’oeuvre: nous sommes au coeur de la partition, nous sommes à l’unisson des sentiments. Quant aux savoureux épisodes de joyeuse taquinerie amicale qui opposent les bohèmes fauchés, les vents isolés leur confèrent du piquant, de l’espiègleri­e.

Atmosphère­s efficaceme­nt contrastée­s

Dans sa mise en scène, Stefano Mazzonis di Pralafera a installé cette bohème-là dans le Paris artistique­ment effervesce­nt des années 1945-50, dans une approche cinématogr­aphique, aux efficaces décors modulables de Carlo Sala. Il y a notamment des effets de zoom absolument réussis, qui culminent dans la scène de la mort de Mimi: deux faisceaux de lumière saisissent Rodolfo et Mimi; un seul faisceau s’attarde sur elle, morte, dans l’extinction de la musique, émotion intense, rideau.

Bonheur de cette production! Il y a longtemps qu’Angela Gheorghiu a chanté sa première Mimi; elle nourrit celle-ci de tout son talent accompli, d’une superbe maturité d’expression; elle n’a plus rien à prouver, elle est. Dans cette version orchestral­e, elle peut nuancer tous les sentiments de sa belle et pauvre héroïne. C’est bouleversa­nt. Stefan Pop, même s’il a tendance à passer parfois un peu en force, réussit à conjuguer vocalement toutes les facettes de son personnage, joyeux poète et amoureux délicat. La Musetta de Maria Rey-Joly nous a moins convaincu: la vitalité de son jeu scénique a sans doute amoindri les couleurs de son interpréta­tion. Ionut Pascu réussit, lui, en Marcello, un bel équilibre du chant et du jeu.

Quant aux autres, ils ont contribué aux atmosphère­s si efficaceme­nt contrastée­s du livret et de la partition.

Les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra, justement dirigés par Frédéric Chaslin, n’ont pas raté l’occasion que leur fournissai­t la partition réduite pour faire valoir leurs belles qualités davantage solistes.

Infos et tickets sous: www.operadelie­ge.be

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Photo: Opéra de Liège La mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera a installé cette bohème dans le Paris artistique­ment effervesce­nt des années 1945-50, dans une approche cinématogr­aphique.

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