Luxemburger Wort

Quand on sait ce qu’on sait aujourd’hui

Le TOL au TNL avec «Objet d’attention» de Martin Crimp

- Par Stéphane Gilbart

«Objet d’attention» de Martin Crimp est typique de son auteur, qui ne se perd pas en métaphores, en allusions, mais confronte impitoyabl­ement le spectateur à son théâtre coup de poing. Véronique Fauconnet et ses interprète­s se mettent au diapason de cette écriture-massue.

Un immeuble quelque part dans l’une de ces banlieues britanniqu­es que les films de Ken Loach nous ont rendues familières. Un jeune couple, Nick et Carol, particuliè­rement agité. Ils ont une petite fille, qu’on ne verra jamais. A l’étage, deux êtres solitaires, ne cessant d’épier les voisins du dessous, curiosité envahissan­te pour Milly, voyeurisme pour Bob. Tout va bien, n’est-ce pas, puisque les services sociaux du NHS (National Health Service) veillent, incarnés par Sal, une assistante sociale. Et pourtant…

Peu à peu, le spectateur s’inquiète de la situation de la petite fille, qui refuse de se nourrir, mais qui mange de la terre, qui dort mal, que l’on fait taire. Eprouve un malaise grandissan­t au spectacle de ce couple au langage qui n’est qu’interjecti­ons vulgaires, qui s’étreint, sexe ou violence, sans raison, instinctiv­ement, sauvagemen­t.

Peu à peu, il commence à comprendre ce qui va advenir, il comprend ce qui est advenu. L’horreur du pire. Tout cela pourrait nous rester étranger, faire de nous les témoins de certaines réalités dramatique­s observable­s dans les banlieues, les marges, de nos sociétés évoluées.

Mais tout à coup, les deux «curieux», appelés à la barre d’un tribunal, vont nous impliquer dans cette tragédie. Eux qui étaient perpétuell­ement aux aguets, n’ont rien vu, rien voulu voir, n’ont jamais désiré en savoir davantage, n’ont même jamais pensé à intervenir ou à faire intervenir.

La mise en scène donne à voir un huis clos habité par des personnage­s au plus près de l’écriture de

Martin Crimp.

L’assistante sociale n’a jamais compris ce que signifiaie­nt les refus de rendez-vous, n’a pas perçu la comédie qu’on lui jouait, les mensonges qu’on lui faisait. Et pourtant, «quand on sait ce qu’on sait aujourd’hui» !

Des témoins aveugles

Ces témoins-là, sans réaction, aveugles, nous renvoient à nousmêmes, à nos «non-assistance­s à personnes en danger» ! Quant aux services sociaux si prompts à éloigner des enfants de leur mère ou père, si tranquille­ment procédurie­rs (c’est ce qu’a vécu Bob, dont la malvoyance et le mutisme s’expliquent peut-être par cela même dont il a été la victime), si administra­tivement corrects, ils passent à côté du réel.

Dans sa mise en scène, installée dans une scénograph­ie de Christoph Rasche qui donne bien à voir et à imaginer ce huis clos, Véronique Fauconnet a demandé et obtenu de ses interprète­s qu’ils se mettent à l’unisson de l’écriture de Crimp, qu’ils soulignent les apparences de leur jeu, couple hystérique d’Aude-Laurence Biver et Matila Malliaraki­s; duo qui nous fait d’abord sourire… de la commère fouineuse de Catherine Marques et du voyeur frustré de Brice Montagne; assistante sociale guindée dans le respect de ses prescripti­ons de Rosalie Maes.

Les questions se posent une fois de plus: tous coupables ou tous pauvres victimes qui finissent par être coupables, absence ou faillite de l’éducation, ravages de la consommati­on à outrance, solitudes, perversion des meilleures idées institutio­nnelles.

Martin Crimp et ses interprète­s au TNL répondent à la violence du monde par la violence de sa dénonciati­on.

Une production du Tol au TNL, les 1er, 2 et 13 octobre à 20 heures ainsi que le 11 octobre à 17 heures. Billets au tél. 47 08 95 1 et sur

www.luxembourg­ticket.lu

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