Quand on sait ce qu’on sait aujourd’hui
Le TOL au TNL avec «Objet d’attention» de Martin Crimp
«Objet d’attention» de Martin Crimp est typique de son auteur, qui ne se perd pas en métaphores, en allusions, mais confronte impitoyablement le spectateur à son théâtre coup de poing. Véronique Fauconnet et ses interprètes se mettent au diapason de cette écriture-massue.
Un immeuble quelque part dans l’une de ces banlieues britanniques que les films de Ken Loach nous ont rendues familières. Un jeune couple, Nick et Carol, particulièrement agité. Ils ont une petite fille, qu’on ne verra jamais. A l’étage, deux êtres solitaires, ne cessant d’épier les voisins du dessous, curiosité envahissante pour Milly, voyeurisme pour Bob. Tout va bien, n’est-ce pas, puisque les services sociaux du NHS (National Health Service) veillent, incarnés par Sal, une assistante sociale. Et pourtant…
Peu à peu, le spectateur s’inquiète de la situation de la petite fille, qui refuse de se nourrir, mais qui mange de la terre, qui dort mal, que l’on fait taire. Eprouve un malaise grandissant au spectacle de ce couple au langage qui n’est qu’interjections vulgaires, qui s’étreint, sexe ou violence, sans raison, instinctivement, sauvagement.
Peu à peu, il commence à comprendre ce qui va advenir, il comprend ce qui est advenu. L’horreur du pire. Tout cela pourrait nous rester étranger, faire de nous les témoins de certaines réalités dramatiques observables dans les banlieues, les marges, de nos sociétés évoluées.
Mais tout à coup, les deux «curieux», appelés à la barre d’un tribunal, vont nous impliquer dans cette tragédie. Eux qui étaient perpétuellement aux aguets, n’ont rien vu, rien voulu voir, n’ont jamais désiré en savoir davantage, n’ont même jamais pensé à intervenir ou à faire intervenir.
La mise en scène donne à voir un huis clos habité par des personnages au plus près de l’écriture de
Martin Crimp.
L’assistante sociale n’a jamais compris ce que signifiaient les refus de rendez-vous, n’a pas perçu la comédie qu’on lui jouait, les mensonges qu’on lui faisait. Et pourtant, «quand on sait ce qu’on sait aujourd’hui» !
Des témoins aveugles
Ces témoins-là, sans réaction, aveugles, nous renvoient à nousmêmes, à nos «non-assistances à personnes en danger» ! Quant aux services sociaux si prompts à éloigner des enfants de leur mère ou père, si tranquillement procéduriers (c’est ce qu’a vécu Bob, dont la malvoyance et le mutisme s’expliquent peut-être par cela même dont il a été la victime), si administrativement corrects, ils passent à côté du réel.
Dans sa mise en scène, installée dans une scénographie de Christoph Rasche qui donne bien à voir et à imaginer ce huis clos, Véronique Fauconnet a demandé et obtenu de ses interprètes qu’ils se mettent à l’unisson de l’écriture de Crimp, qu’ils soulignent les apparences de leur jeu, couple hystérique d’Aude-Laurence Biver et Matila Malliarakis; duo qui nous fait d’abord sourire… de la commère fouineuse de Catherine Marques et du voyeur frustré de Brice Montagne; assistante sociale guindée dans le respect de ses prescriptions de Rosalie Maes.
Les questions se posent une fois de plus: tous coupables ou tous pauvres victimes qui finissent par être coupables, absence ou faillite de l’éducation, ravages de la consommation à outrance, solitudes, perversion des meilleures idées institutionnelles.
Martin Crimp et ses interprètes au TNL répondent à la violence du monde par la violence de sa dénonciation.
Une production du Tol au TNL, les 1er, 2 et 13 octobre à 20 heures ainsi que le 11 octobre à 17 heures. Billets au tél. 47 08 95 1 et sur
www.luxembourgticket.lu