«Un crayon est une chose merveilleuse»
Décès à 88 ans de Quino, le créateur de Mafalda au sens aigu de l’absurde
Buenos Aires. Quino, le père de Mafalda, cette petite fille espiègle à la grosse tignasse noire qui déteste la soupe, l’injustice et la guerre, décédé à l’âge de 88 ans, combinait un sens aigu de l’absurde et la finesse politique des grands dessinateurs d’actualité.
«Je dessine parce que je m’exprime mal», confiait l’Argentin de son vrai nom Joaquin Salvador Lavado, auteur pour l’essentiel de courtes BD et de dessins d'humour quasi muets. Ce fils d’Andalous, né au pied des Andes dans la région de Mendoza en Argentine, le 17 juillet 1932, découvre très jeune la puissance du crayon. «A trois ans, je dessinais avec mon oncle. J’ai compris alors que d’un objet si simple pouvaient naître des personnes, des chevaux, des trains, des montagnes... Un crayon est une chose merveilleuse», aimait-il à raconter.
A 13 ans, il s’inscrit à l’école des Beaux Arts de Mendoza, mais en 1949, «lassé de dessiner des amphores et des plâtres», il arrête ses études et ne pense plus qu’à une seule chose: devenir illustrateur d'humour. Il se alors lance dans la BD muette. En 1954, l’hebdomadaire argentin «Esto Es» publie sa première page.
«Entre Blondie et Peanuts»
«Je dessinais très mal. Le dessinateur Garaycochea me disait: ,tu as de bonnes idées mais tu dessines comme un cochon‘». Puis c’est le dessinateur Divito qui le corrige. «Avant, je dessinais sans ombres, tout en ligne claire. Divito disait qu’il ne fallait pas laisser autant de blanc, que les lecteurs voulaient en avoir pour leur argent. Puis il m’a demandé de lui apporter des dessins avec du texte».
En 1963, il travaille pour une campagne de publicité qui recherche un personnage «entre Blondie et Peanuts» pour un appareil ménager de la marque Mansfield. C’est là que née Mafalda mais la campagne n’a jamais vu le jour. Ce n’est que le 29 septembre 1964, sous l’impulsion de son épouse Alicia Colombo, que la petite fille sort d’un tiroir pour être publiée par l’hebdomadaire «Primera Plana» de Buenos Aires. «Ma femme a été l’élément-clé dans la reconnaissance de Mafalda», avait-il assuré en 2014 lors de la remise du Prix Princes des Asturies. Très vite, sa popularité dépasse les frontières.
L’irrespectueuse Mafalda, deux points pour les yeux, une petite boule en guise de nez et toujours un noeud dans son épaisse tignasse noire, est la fille d’une femme au foyer et d’un agent d’assurances argentins totalement dépassés par sa maturité. Ses demandes d’explication sur la condition féminine, la dictature, la surpopulation, la guerre atomique ou encore Castro sont l’expression d’une indignation constante contre le monde des années 60.
C’est après l’attentat contre Charlie Hebdo que Quino, proche de Wolinski, fait l’une de ses dernières apparitions publiques en janvier 2015: «Mafalda aurait ressenti une peine terrible», avait-t-il dit, tenant dans son fauteuil roulant une pancarte «Je suis Charlie». AFP