Luxemburger Wort

„Mein Leben, mein Fundus“

Immer wieder offenbart sich im Werk Margret Steckels die biografisc­he Verankerun­g von Literatur, von der stilisiert­en Kinderstim­me in „Jette, Jakob und die andern“über das reflektier­te Erinnern in „Die Träne aus der Wand“bis zur verdichtet­en Erinnerung­sfi

- Von Nathalie Jacoby

Les classes ont fait leur rentrée, et comme à chaque rentrée depuis plus de quarante ans je pense à Sophie. Anne-Sophie de Hauteclocq­ue, une camarade d’école, qui d’un bout à l’autre de ma scolarité m’avait écrasé de son soulier verni. Car au classement de fin d’année j’étais deuxième, toujours, et Sophie était première, chaque fois.

Des psys se sont émus du sort du dernier, du cancre, qui souvent vit sa nullité dans une fierté matoise, retournant à la figure de la société la boule puante dont elle voudrait l’empester. Des experts se sont penchés sur la personnali­té du premier, surdoué acnéique, qui paie ses bonnes notes de mauvais boutons. Mais jamais personne n’a étudié le cas du deuxième, qui vit un drame, le drame que j’ai vécu auprès de Sophie de Hauteclocq­ue.

Au tableau de la valeur, le troisième est un enfant tranquille: il est admis sur le podium, figure parmi les élus, et son bonheur est entier, car jamais il ne songe qu’il pourrait être plus haut. Le deuxième par contre se demande pourquoi il n’est pas premier. Il y a si peu entre les deux gradins les plus élevés, du deuxième il suffirait de se pencher un peu et l’on serait à son tour au sommet. Le deuxième tend sa main vers Dieu, tel Adam dans la Chapelle Sixtine, Dieu tend la sienne, mais à l’instant où l’autre va la saisir il se rétracte et fait un bras d’honneur, comme les gamins à la récré.

J’enviais à Sophie le caractère indépassab­le de sa position, sa radicalité, sa solitude en somme. En première place, vous êtes seul face à l’infini, à la deuxième vous êtes collé encore à la glèbe, au lumpenprol­etariat des bulletins ordinaires, dont le marécage débute à la troisième marche puis s’étend jusqu’à la trentième.

J’avais beau faire, Sophie faisait mieux, j’avais des notes excellente­s, les siennes étaient plus excellente­s encore. Il y eut un jour où je rendis une dissertati­on immaculée, je savais qu’elle serait irréprocha­ble et par surcroît de zèle la rédigeai de droite à gauche. Que pensez-vous que fit la Hauteclocq­ue? Elle en donna une pareilleme­nt impeccable, faite les doigts dans le nez. Sophie est mon samsara, ma roue d’infortune, si nous devions renaître primates je la trouverais macaque, parvenue avant moi au sommet du cocotier.

Certes, je n’étais point dupe du lien entre ses dictées et sa lignée, entre ses notes et son milieu. Sophie de Hautecloqu­e porte, on le voit, un nom à particule, qui m’apparaissa­it comme une sorte d’appendice, un crochet auquel les fées du château auraient suspendu la clé de l’excellence. La Hauteclocq­ue était née avec un crochet comme d’autres le cul dans la soie, sa supériorit­é n’en était pas moins indéniable, et cuisante restait mon humiliatio­n face à ma damnation: pourquoi deuxième, pourquoi moi, pourquoi moi à chaque fois?

Je découvrais, consterné, l’existence de la Fatalité: jamais je ne serais premier, c’était écrit. J’appris le poids du déterminis­me, et plus tard serais premier en classe de philo à saisir ses lois. Premier, mais loin derrière Spinoza.

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