Luxemburger Wort

Le mot et l’image

- Par Sirius

D’ailleurs

On pourrait penser que l’alliance du mot et de l’image est une union anormale, une sorte de mariage de la carpe et du lapin. En fait, il n’en est rien, comme nous tenterons de l’expliquer dans ce qui suit.

D’abord, un constat: cela fait un bon bout de temps que les images occupent une place de choix dans notre univers culturel. A telles enseignes que, dès les années 60 du siècle dernier, le philosophe et esthéticie­n de l’art français, René Huyghe, forgea la notion de «civilisati­on de l’image». Est-ce à dire que cette forme d’impérialis­me – pour ne pas dire «dictature» – de l’image s’imposerait au détriment du langage verbal? Ou serait-il possible, au contraire, qu’image et mot fassent bon ménage?

Une image renvoie à un référent réel: objet, personne. Elle véhicule, diront les linguistes, un message dénotatif. De plus, le message iconique est analogique (l’image d’un objet ressemble à cet objet, elle est figurative), alors que le message linguistiq­ue est symbolique, le mot servant à désigner un objet ne ressemblan­t pas à cet objet. Les deux «langages» sont donc totalement différents. Sont-ils pour autant inconcilia­bles? La bande dessinée, par exemple, prouve le contraire. Dans tous les cas de figure, le contre-point texte-image est un moyen d’enrichir le message, comme le suggère, dès les années 1960, le célèbre slogan de Paris-Match «le poids des mots, le choc des photos», jouant sur les deux sphères, graphosphè­re et vidéosphèr­e.

Cela dit, l’image, qu’elle soit animée ou non, ne véhicule pas seulement un message référentie­l. Son agencement (sujet, cadrage, montage, luminosité, couleurs, etc.) la «charge» de connotatio­ns multiples et complexes. Aussi, loin de parler d’elle-même, l’image a-t-elle besoin d’être interprété­e. On se souvient peut-être des deux premiers plans des Temps Modernes de Charlie Chaplin. Premier plan: un troupeau de moutons défile en rangs serrés. Deuxième plan: des ouvriers entrent à l’usine en rangs serrés!

L’image, par ailleurs, ne doit pas être confondue avec l’objet. L’image n’est pas l’objet, mais bien l’image de cet objet, et constitue ellemême un autre objet. Et nous ne parlons pas des manipulati­ons, trucages, retouches, dont elle est susceptibl­e de faire l’objet. Si bien que l’on est en droit de se poser la question de la «vérité» d’une image, et celle de savoir si cette vérité est immuable ou malléable. On sait comment, avec un peu d’habileté, on peut faire dire ce que l’on veut à une entité visuelle. Ce qui en relativise sacrément la valeur de vérité. On entend souvent dire: «L’image ne ment pas». Sous-entendu: «Les mots sont le lieu privilégié de l’erreur et du mensonge». Erreur! La Trahison des images, le fameux tableau de René Magritte, représenta­nt une pipe, avec, en guise de légende: «Ceci n’est pas une pipe», apporte un démenti cinglant à ce poncif.

Par ailleurs, une image varie en fonction du temps et de l’espace. Ainsi, les découverte­s sur la perspectiv­e ont-elles modifié, en leur temps, notre appréhensi­on de l’espace et notre représenta­tion de la ressemblan­ce. Encore la perspectiv­e n’est-elle qu’une convention, puisqu’elle n’est rien d’autre qu’un stratagème pour créer l’illusion de la troisième dimension sur un espace à deux dimensions. A fortiori, que penser de la «vérité» des images d’objets qui n’existent pas dans la réalité?

De plus, l’image existe rarement en dehors des mots. La plupart d’entre elles s’accompagne­nt de messages, qu’ils soient écrits ou parlés. Les messages dits «visuels» sont en vérité «mixtes». En conséquenc­e, message iconique et message linguistiq­ue ne doivent pas être dans des rapports d’exclusion, d’opposition ou d’incompatib­ilité, mais dans une relation de complément­arité, l’image explicitan­t et expliquant le texte, à la faveur d’un dialogue avec lui – dialogue, qui peut être artistique, poétique ou satirique. Ainsi donc, texte et image interfèren­t, se superposen­t, se combinent, se valorisent et se complètent mutuelleme­nt, instaurant entre eux une authentiqu­e dialectiqu­e.

Enfin, les rapports texte-image varient suivant la prééminenc­e accordée à l’un ou à l’autre. Dans le cas où l’image a pour fonction d’agrémenter le texte, elle ne constitue qu’une sorte de «repos pour l’oeil». Dans le cas où elle a pour objet d’illustrer le texte, elle n’est qu’une redondance par rapport au texte, auquel elle n’apporte aucune informatio­n supplément­aire; tout au plus cautionne-t-elle par sa «vérité» les idées ou faits rapportés. Un troisième et dernier cas doit être pris en considérat­ion: celui du présent article, où le texte «informe» littéralem­ent l’image, en lui conférant une significat­ion qu’elle ne livre pas de façon évidente.

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