Luxemburger Wort

Les fossoyeurs de la profession d’enseignant

Un mépris général des enseignant­s est à l’ordre du jour

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Pendant près d’un siècle, on parlait de pléthore de candidats-enseignant­s. Ainsi, déjà au début des années 1920, vu le manque d’avenir dans la profession, mon père abandonna les lettres pour le droit. Lorsque je terminai mes études en 1960, on me recommanda d’accepter tout de suite un poste, vu qu’ils étaient rares, et cela même à l’époque où la difficulté des examens de la collation des grades constituai­t encore un obstacle majeur, destiné à dégoûter, puis à éliminer les candidats moins solides. Enfin, entre 1969 et 1974, en tant que président de l’APESS, je fus constammen­t obligé de me bagarrer avec le ministre pour qu’il nomme enfin des jeunes ayant terminé avec succès leur stage, mais pour lesquels aucun poste n’était prévu.

Aujourd’hui, situation paradoxale, au moment où l’on ne parle que de jeunes au chômage, la pléthore s’est muée en manque cruel. Le ministre ne sait plus quoi faire pour attirer les candidats et c’est la braderie. Une seconde voie d’accès au professora­t est ouverte. Qu’on n’exige plus de latin serait encore plausible, mais qu’on engage des candidats unilingues, ignorant le luxembourg­eois et l’allemand, est proprement inouï. De plus, plus besoin des deux dissertati­ons scientifiq­ue (la mienne comportait 280 pages!) et pédagogiqu­e, plus besoin de connaissan­ces en pédagogie, plus de leçons-modèles à présenter au cours de deux années d’un stage dont la durée est réduite à la portion congrue, enfin plus d’examen «Pourquoi en est-on arrivé là?», se demande l'auteur.

à réussir (trois leçons-modèles dont une en latin, de même trois correction­s dont un thème latin!) devant un jury de cinq personnes. Voilà ce que j’appelle des critères «light» qui ne redorent évidemment point le blason de la profession.

Pourquoi en est-on arrivé là? Quels sont les fossoyeurs?

En premier lieu, je recommande de lire la lettre à l’éditeur de ce 23 décembre où le comité de la délégation nationale des enseignant­s accuse l’un des, ou le plus fameux fossoyeur, le ministre Meisch. En effet, ce dernier cumule toutes les tares et les faux griefs qu’aussi bien le grand public que la caste politique ont présentés au cours des dernières décennies à l’encontre des enseignant­s.

En effet, un mépris général des enseignant­s est depuis belle lurette chic et à l’ordre du jour. «Déi liddereg Proffen» (on ne parle plus de «Professere­n»!) ou bien « Deen ass et jo nëmme wéinst den endlose Vakanze ginn» sont des paroles mille fois répétées par un public ignare, et captées au vol par pas mal de politicien­s. Je me rappellera­i toujours la parole du ministre Krieps pour qualifier un allègement de la tâche des professeur­s après un certain nombre d’années de service: «Prime à la décrépitud­e». Autre moment fort: Lorsque tous les fonctionna­ires de l’Etat voyaient le nombre d’heures de travail réduit de 42 à 40, pour accorder un bénéfice analogue aux professeur­s, le ministre Grégoire, bien disposé envers les enseignant­s, n’osa pas affronter ses collègues ni la Chambre, mais eut recours à une lettre ministérie­lle, révocable à tout instant, instant dont le ministre Meisch a évidemment profité. Enfin, il est honteux que les professeur­s doivent avoir recours aux tribunaux pour peut-être obtenir justice (dont le même ministre ignore les décisions!).

Si à un ministre et à des politicien­s ayant eu une scolarité problémati­que se joignent des parents d’élèves convaincus d’avoir procréé de petits génies, méconnus par les crétins d’enseignant­s, la meute qui crie haro sur le baudet devient tellement importante et puissante que les malheureux sont d’avance perdants. Dans ces conditions, quel nigaud voudrait encore choisir pareille carrière?

Raymond Schaack Luxembourg

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Photo: Shuttersto­ck

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