Fascinants et mystérieux Olmèques
A Paris une très belle exposition décrypte les sociétés des peuples de Mésoamérique, complexes et énigmatiques.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac qui consacre ses collections et ses expositions aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, propose actuellement un très beau voyage en Amérique centrale à la découverte de la civilisation olmèque et de celles qui lui succèdent, sur une période allant de 1600 av.
J.-C. à la conquête espagnole. Avec environ trois cents pièces – les trois quarts sont présentées pour la première fois en Europe, voire n’étaient encore jamais sorties de leur musée d’origine au Mexique –, dont de nombreuses et spectaculaires sculptures de grande taille, c’est tout un art à l’esthétique, aux mythes et aux significations méconnus qu’il est proposé d’appréhender. Un art à l’intérêt historique majeur puisqu’il est celui par lequel la connaissance de ces civilisations est possible. Et de l’avis même des archéologues, historiens de l’art et autres spécialistes, il reste encore beaucoup à découvrir et à comprendre.
La civilisation olmèque commence vers 1600 av. J.-C pour se terminer vers 400 av. J.-C. Le mot «Olmèque» vient de «Olmán» signifiant «pays du caoutchouc». En effet, le jeu de balle, en caoutchouc, apparaît au début de la formation de la Mésoamérique et la première de ses civilisations, olmèque donc, jette les bases d’un monde culturel commun. Les Olmèques inventent la sculpture de très grande taille et la statuaire de petite dimension sur des matériaux précieux – le jade est la référence de la richesse et non pas l’or –, ils construisent les premières pyramides monumentales du continent, élaborent des trames urbaines complexes, conçoivent le calendrier du compte-long et imaginent la première écriture. Une grandeur et une puissance d’invention dont les avancées vont perdurer pendant plus d’un millénaire puis seront reprises par d’autres cultures dans les domaines sociaux et politique, de l’urbanisme, du commerce et de l’art sculptural. Lorsque le conquistador espagnol Cortès débarque sur les côtes de l’actuel Mexique en 1519, il est confronté à une multiplicité de traditions artistiques, de croyances et de langages. En effet, une vingtaine de langues sont parlées dans cette région délimitée par la côte du golfe du Mexique – 600 kilomètres du nord au sud sur 60 à 200 kilomètres de large –, une zone géographique de rencontres, d’échanges et brassages culturels.
Mais revenons à celle qui est à l’origine de ces civilisations mésoaméricaines, la civilisation olmèque. Les Olmèques vont s’installer dans des zones humides où les conditions climatiques – pluies, terres inondables, ressources en faune et en flore – sont compatibles avec l’agriculture. Les populations vont ainsi se sédentariser et l’organisation sociale, politique et économique se mettre en place et se complexifier au fil des siècles. Les villes et villages se développent en même temps que l’architecture monumentale – notons que les pierres sont extraites de carrières situées à une centaine de kilomètres, et que les Olmèques ne connaissant ni la traction animale ni la roue, ils les ont sans doute acheminées par voies d’eau. Et concomitamment, l’art et notamment la sculpture monumentale, devient un outil au service du pouvoir.
C’est le Señor de las Limas qui accueille le visiteur en haut de l’escalator menant à l’exposition. Sculpté dans de la jadéite et datée de 900400 av. J.-C., c’est un homme au visage scarifié et au corps couvert de motifs symboliques qui est assis en tailleur, en tenant sur ses bras tendus le corps mou et lui aussi couvert de motifs d’un petit être – un bébé-jaguar? Un dieu? D’emblée, le mystère et les caractéristiques esthétiques de l’art olmèque s’incarnent… Les quatre grandes sculptures parmi les plus exceptionnelles de la culture olmèque qui poursuivent immédiatement le parcours en sont d’autres exemples: deux félins sont alignés l’un derrière l’autre et deux figures humaines, des jeunes hommes qui semblent jumeaux tenant un scep
tre, sont agenouillés devant eux. Découvert en 1987, ce groupe sculpté entre 1200 et 900 av. J.C. raconte peut-être un mythe des origines, ou un mythe du pouvoir.
Mythes et croyances
L’exposition explore plus particulièrement deux sites, ceux de San Lorenzo et de La Venta, remarquables par les découvertes qui y ont été faites. San Lorenzo est la ville la plus importante de l’époque olmèque en Mésoamérique. Son édification a été possible grâce à la construction de terrasses et d’un nivellement des sols. Les fouilles archéologiques ont mis en évidence la construction de palais imposants, d’ateliers ou de simples maisons avec un système de canalisation en eau évolué. On a retrouvé dans cette cité des sculptures de divinités au faciès caractéristique, avec leur visage à la bouche sans dent, une ouverture en V au sommet de la tête et un pectoral rectangulaire orné d’un motif en croix. On y a aussi exhumé de colossales têtes sculptées de dirigeants aux canons classiques de la sculpture olmèque – yeux rapprochés, nez imposant, bouche charnue et casque ajusté –, qui sont devenues emblématiques de la civilisation olmèque. Dix ont été découvertes à San Lorenzo, une est présentée ici, la plus petite… mais tout de même 180 centimètres de hauteur! Le moulage grandeur nature d’une autre tête est exposé dans le jardin du musée, visible depuis le quai.
Le site de La Venta propose un modèle architectonique planifié, hiérarchisé. Au centre de la ville avait été édifiée la plus ancienne pyramide en terre du Mexique, haute de trente mètres. On a retrouvé à La Venta des édifices civils et cérémoniels complétés par des ensembles sculpturaux. Un magnifique ensemble de sculptures de petite taille – Offrande 4 du site de La Venta – montre toute la difficulté à appréhender les mythes et croyances des Olmèques: ce groupe de seize figurines humaines, dont quinze en jadéite et en serpentine, font face au dernier personnage, qui est lui en granit et qui se tient devant six haches polies dressées comme des stèles. Que veut signifier cette offrande? La scène se situe-t-elle sur Terre ou dans le monde des ancêtres? Les spécialistes en sont toujours à émettre des suppositions.
Avant même l’invention de l’écriture, les avancées économiques, sociales, politiques et artistiques des Olmèques ont été considérables. Et pour relayer les idées, les mythes et des concepts, ils vont utiliser la pierre et plus particulièrement les sculptures. C’est ainsi le cas des stèles sur lesquelles des glyphes verticaux, inscriptions à caractères historiques et calendaires, sont gravés. La stèle C – qui est ici accompagnée de schémas indispensables à la compréhension du processus expliquant le système calendaire extrêmement complexe du compte-long, une invention olmèque qui sera utilisée pour l’enregistrement des faits historiques dans les chroniques royales mayas –, a révolutionné la connaissance de l’écriture mésoaméricaine. Mais cette symbolique, si difficile à décoder aujourd’hui, semble avoir été aisément compréhensible par les différentes civilisations contemporaines des Olmèques. Autre objet caractéristique, Le sceau de San Andrés est un cylindre aviforme au magnifique dessin d’oiseau aux ailes déployées accompagné de deux symboles complexes ressemblant aux glyphes mayas. Mais leur sens reste inconnu. Les premières formes d’écriture compréhensible apparaîtront à la fin de la période olmèque, à la fin de cette civilisation fondatrice.
Pendant la période de près de trois mille ans que couvre l’exposition, de multiples groupes ethniques se sont donc développés sur le territoire mésoaméricain, en contact les uns avec les autres. L’un d’entre eux se distingue particulièrement, celui des Huastèques – la similitude de leurs céramiques et de leur langue
semble par ailleurs indiquer un lien particulier avec les Mayas. Les Huastèques vont élaborer un art de la statuaire très spécifique, conceptualisant les corps humains par le biais de la nudité et de la déformation crânienne artificielle, se qui se traduit par de spectaculaires statues d’hommes et de femmes dont la poitrine est notamment creusée d’une cavité destinée à recevoir une offrande ou une pierre précieuse symbole de vie. Seize d’entre elles sont ici présentées. L’Adolescent huastèque représente à lui seul les canons de la beauté de cette civilisation: sa tête est déformée, ses lobes d’oreille distendus pour insérer des ornements, son corps nu recouvert de magnifiques «tatouages». Ceux-ci forment des symboles associés au jade et les «grains» posés sur ses bras et son dos seraient liés au maïs. Sur son dos, un petit individu est porté comme un bébé mais c’est en fait un adulte, sans doute mort puisque dans le mythe huastèque on devient tout petit lorsque l’on meurt.
Autre artefact caractéristique, la Stèle de Huilocintla qui présente l’autosacrifice d’un dirigeant. Référence à celui des dieux lors de la création du monde qui eux aussi se sont sacrifiés, il se perfore la langue avec une branche épineuse et une créature surnaturelle récupère le sang qui coule. Par cette attitude identique, un lien étroit entre les dieux et le dirigeant est établi: il est déifié. Les oeuvres sont ainsi utilisées comme un outil de propagande religieuse dans l’intérêt de la classe dominante. Les femmes n’en sont pas exclues puisqu’elles sont représentées en égale proportion avec les hommes. Souvent assises sur leurs talons, en attitude de vénération, les mains sur les cuisses avec des coiffures élaborées en forme d’épis de maïs, symbole de fertilité; ou debout, poitrine découverte et mains sur les hanches: déesse ou humaine, elles sont une partie importante de la statuaire huastèque.
Les offrandes sont omniprésentes dans les civilisations mésoaméricaines. Cette pratique de déposition d’objets a été constatée sur plusieurs lieux de rituels. A El Manati, source d’eau près de San Lorenzo, les Olmèques firent entre 1600 et 1000 av. J.-C. des offrandes d’objets en bois, de végétaux, de balles de caoutchouc; des bustes sont accompagnés de haches rituelles, de colliers de perles de jade… On y a trouvé aussi des restes de très jeunes enfants, ce qui correspondrait à des sacrifices à des dieux ou à des forces surnaturelles. Sur le site de La Merced ce sont des céramiques, un miroir d’hématite et près de cinq cents haches disposées autour d’une sculpture surnommée Le Bébé, aux traits à la fois de nourrisson et de divinités olmèques, qui tient une hache dans ses mains: cette disposition indique la scénographie, dans les offrandes mêmes, d’un événement rituel. De nombreuses autres offrandes issues des sites de Cerro de las Mesas – ensemble exceptionnel d’un squelette avec son trousseau funéraire –, de Chak Pet – figurines et artéfacts en os et coquillages trouvés dans les sépultures de quatre cents individus –, de Malpasito – des vases orangés à engobe blanc – sont exposées ici.
Mais la plus spectaculaire est sans conteste La Femme scarifiée. Découverte au pied d’un réservoir rituel d’eau de source qui contenait de nombreuses autres offrandes dont des céramiques et des boîtes crâniennes, la sculpture brisée et incomplète est présentée sur un faux bassin d’eau. Elle a été découverte en 2005 et est datée vers 200 de notre ère. Sur ses cuisses, ses épaules et une partie de sa poitrine, sont gravées des scarifications en forme de losanges et le poli du ventre et les plis de graisse sont révélateurs d’une qualité de réalisation sans équivalent. Devant le bassin fut par la suite édifié un mur, le but étant certainement de mémoriser ce site rituel de Tamtoc. C’est à Tamtoc encore, capitale huastèque, que furent exhumés le squelette et le trousseau funéraire d’une femme. Inhumée vers 1520 apr. J.-C., la jeune femme avait eu le crâne déformé durant son enfance et ses incisives limées, des pratiques liées à la beauté et à un statut social supérieur. A ses côtés, des objets dont la richesse et la diversité des matériaux – pendentif de jade, pots et écuelles en céramique, collier de perles de coquillages et de Venise –, témoignent de l’importance des réseaux commerciaux et des pratiques d’échanges au 16e siècle. La transition entre le monde ancien et le monde espagnol était amorcé.
Cette passionnante et foisonnante exposition portant sur l’art sculptural du golfe du Mexique durant trois mille ans, et par là même sur ces mystérieuses civilisations qui l’ont inventé, bénéficie d’une très belle scénographie et d’un parcours de visite bien structuré. De nombreux écrans proposent des explications complémentaires claires, les panneaux de sections, des plans et des cartes contextualisent le propos et les oeuvres majeures bénéficient de cartels augmentés. Tout cela contribue à lever le voile sur cette période fascinante de l’histoire de la Mésoamérique. La terre, la pierre et l’eau ont gardé, là-bas de l’autre côté de l’Atlantique, la trace de ces civilisations étranges et énigmatiques. Aujourd’hui profitons que certaines de leurs plus belles pièces soient de passage à Paris pour découvrir leur beauté et leur magnétisme.
«Les Olmèques et les cultures du golfe du Mexique», jusqu’au 25 juillet 2021. Conformément aux directives gouvernementales, le musée est fermé jusqu’à nouvel ordre. Musée du quai Branly-Jacques Chirac. 37 quai Branly, 75007 Paris. www.quaibranly.fr
Outil de propagande religieuse