Luxemburger Wort

Le lit de la pandémie

- Par Gaston Carré

Billet

On dit du virus qu’il est «malin». C’est lui faire trop de crédit. Tout au plus peut-on lui concéder cette forme d’opportunis­me qui permet à la taupe de faire son trou dans une terre tendre. Voulonsnou­s insinuer que nous présentons au virus un substrat favorable, un milieu accueillan­t? Suggérer une opération portes ouvertes, à notre insu, par quoi la bête trouverait chez nous le couvert, le feu et même le couvre-feu? Disons que le virus agit à la façon d’un symptôme, qui vient éclore où la névrose a fait son nid. Qu’il y a une sorte d’adéquation entre la pandémie, la loi qu’elle impose et, inconscien­tes, les dispositio­ns psychologi­ques en quoi elle creuse.

Le confinemen­t vous prive de la ville? C’est une privation qui vient à point: on s’en méfiait, de la ville, qui depuis longtemps nous est hostile. On ne supporte plus ses nuisances, sa promiscuit­é, son grouilleme­nt. Peur du confinemen­t? C’est la ville qui fait peur! La ville anxiogène, ses toxines, ses agents pathogènes. Vous étouffez, dites-vous, dans le huis-clos de chez vous? Mais c’est la ville qui manque d’air. La ville polluée, corrompue par les gaz, les miasmes du diesel, la fumée de mes cigarettes dites-vous. Elle est malsaine la ville, bad, vilaine, on y évolue comme Jackson dans ses fins souliers, en moon-walk, pour prendre appui le moins possible sur l’asphalte.

La société vous manque, dites-vous. L’espace public. Mais déjà n’en restaient que domicile et bureau. La pandémie nous en préserve, de l’open space surtout: le bureau, devenu «home-office», s’est déporté en nos murs. L’espace, qui même open n’était jamais suffisant, voilà qu’il est inutile. On appelle «présentiel» aujourd’hui le mode ancien de notre coopératio­n, il faut être absent désormais pour être performant. Le patronat cependant voit s’accomplir ce fantasme ancien: le bureau sans le loyer, le travail sans le travailleu­r, en attendant le travail sans le salaire.

Le travailleu­r d’ici là peut gagner sa vie sans bouger de chez lui, sans se salir les mains, rêve de misanthrop­e hypocondri­aque. D’autant que chez lui il ne manque de rien. Car ce que la ville donnait à voir, le domicile le donne à profusion – le «home cinema» nous montre le spectacle du monde, le confort en plus: le monde d’avant s’imposait en temps réel, à domicile par contre ses calamités en replay peuvent être différées.

Play ou replay, vie et ville sont là, nappe phréatique sous votre parquet: on appelle «livestream» cette coulée continue, plus réelle intra-muros qu’extra, en quoi vous puisez quand ça vous chante. Et le virus, qui contrairem­ent à ses victimes a du nez, a flairé là une opportunit­é, en ce domicile où nous avons préparé sa souche, d’où l’adage selon lequel «comme on fait son lit on se couche».

Mais trêve de plaisanter­ie: ce qui précède n’est qu’une provocatio­n. En vérité nous n’en pouvons plus, de ce virus, et voulons en finir. Patientons à cet effet, et persévéron­s dans les mesures nécessaire­s. Viendra bien un jour où nous pourrons lui imposer silence. C’est au «home office» que finira la lutte, devant le computer, dont nous presserons la touche «mute!».

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