Le lit de la pandémie
Billet
On dit du virus qu’il est «malin». C’est lui faire trop de crédit. Tout au plus peut-on lui concéder cette forme d’opportunisme qui permet à la taupe de faire son trou dans une terre tendre. Voulonsnous insinuer que nous présentons au virus un substrat favorable, un milieu accueillant? Suggérer une opération portes ouvertes, à notre insu, par quoi la bête trouverait chez nous le couvert, le feu et même le couvre-feu? Disons que le virus agit à la façon d’un symptôme, qui vient éclore où la névrose a fait son nid. Qu’il y a une sorte d’adéquation entre la pandémie, la loi qu’elle impose et, inconscientes, les dispositions psychologiques en quoi elle creuse.
Le confinement vous prive de la ville? C’est une privation qui vient à point: on s’en méfiait, de la ville, qui depuis longtemps nous est hostile. On ne supporte plus ses nuisances, sa promiscuité, son grouillement. Peur du confinement? C’est la ville qui fait peur! La ville anxiogène, ses toxines, ses agents pathogènes. Vous étouffez, dites-vous, dans le huis-clos de chez vous? Mais c’est la ville qui manque d’air. La ville polluée, corrompue par les gaz, les miasmes du diesel, la fumée de mes cigarettes dites-vous. Elle est malsaine la ville, bad, vilaine, on y évolue comme Jackson dans ses fins souliers, en moon-walk, pour prendre appui le moins possible sur l’asphalte.
La société vous manque, dites-vous. L’espace public. Mais déjà n’en restaient que domicile et bureau. La pandémie nous en préserve, de l’open space surtout: le bureau, devenu «home-office», s’est déporté en nos murs. L’espace, qui même open n’était jamais suffisant, voilà qu’il est inutile. On appelle «présentiel» aujourd’hui le mode ancien de notre coopération, il faut être absent désormais pour être performant. Le patronat cependant voit s’accomplir ce fantasme ancien: le bureau sans le loyer, le travail sans le travailleur, en attendant le travail sans le salaire.
Le travailleur d’ici là peut gagner sa vie sans bouger de chez lui, sans se salir les mains, rêve de misanthrope hypocondriaque. D’autant que chez lui il ne manque de rien. Car ce que la ville donnait à voir, le domicile le donne à profusion – le «home cinema» nous montre le spectacle du monde, le confort en plus: le monde d’avant s’imposait en temps réel, à domicile par contre ses calamités en replay peuvent être différées.
Play ou replay, vie et ville sont là, nappe phréatique sous votre parquet: on appelle «livestream» cette coulée continue, plus réelle intra-muros qu’extra, en quoi vous puisez quand ça vous chante. Et le virus, qui contrairement à ses victimes a du nez, a flairé là une opportunité, en ce domicile où nous avons préparé sa souche, d’où l’adage selon lequel «comme on fait son lit on se couche».
Mais trêve de plaisanterie: ce qui précède n’est qu’une provocation. En vérité nous n’en pouvons plus, de ce virus, et voulons en finir. Patientons à cet effet, et persévérons dans les mesures nécessaires. Viendra bien un jour où nous pourrons lui imposer silence. C’est au «home office» que finira la lutte, devant le computer, dont nous presserons la touche «mute!».