Luxemburger Wort

Yes we can

- Par Sirius

D’ailleurs

Que la lumière soit», «Eurêka!», «Vae victis», «Alea jacta est», «Panem et circenses», «Vox populi, vox dei», «Rendez à César ce qui est à César», «Eppur si muove», «To be or not to be», «Paris vaut bien une messe», «L’État, c’est moi», «Je pense, donc je suis», «No pasarán!», «L’argent n’a pas d’odeur», «J’accuse», «Du sang, de la sueur et des larmes», «Après nous le déluge», «Ich bin ein Berliner», «Un petit pas pour un homme, un grand pas pour l’humanité», «I have a dream», «Je suis Charlie».

Que peuvent bien avoir en commun tous ces syntagmes ou «éléments de langage», comme on dit aujourd’hui? Eh bien, toutes ces formules mémorables sont ce qu’il est convenu d’appeler des «petites phrases». Celles-ci peuvent être impérative­s («Connais-toi toi-même»), négatives («Tu ne tueras point»), assertives («La propriété, c’est le vol»), interrogat­ives («Le pape, combien de divisions?»), emphatique­s («Vous n’avez pas le monopole du coeur»), revendicat­ives («Il est interdit d’interdire»), elliptique­s («Écrasons l’infâme»), excessives («Tous pourris!», sibyllines («Arx Tarpeia Capitoli proxima»), prophétiqu­es («Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas»), édifiantes, à l’instar des morales des fables («On a souvent besoin d’un plus petit que soi»), rimées («Noël au balcon, Pâques aux tisons»), certaines pouvant même tenir en un seul mot («abracadabr­antesque»).

Où il appert que les «petites phrases» sont d’une infinie variété. Ce nonobstant, la «petite phraséolog­ie» ou théorie des petites phrases a tenté de les classer en fonction de leurs caractéris­tiques. Mais, d’abord, une vérité première: une petite phrase réside moins dans l’esprit de son auteur que dans celui du public qui la retient. C’est l’opinion qui fait la petite phrase. Amplifiée, de nos jours, par le web et les réseaux sociaux, c’est elle qui permet aux petites phrases de devenir «virales» et de se répandre comme des traînées de poudre – Twitter, avec ses messages en 140 signes, favorisant par ailleurs des dispositio­ns locutoires qui s’apparenten­t par nature à des petites phrases.

Au fait, avant même de parler taxonomie, demandons-nous: «Qu’est-ce qu’une petite phrase?». A l’article «phrase» de son Dictionnai­re, l’Académie française la définit comme étant «une formule concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits». Voilà une définition intéressan­te qui va nous permettre de cataloguer les petites phrases suivant les quatre caractéris­tiques essentiell­es que retient cette définition.

La première caractéris­tique, c’est, bien sûr, que la petite phrase est petite, concise. «Trois fois rien, c’est déjà quelque chose» (Raymond

Devos). A une glorieuse exception près, cette phrase de Platon, très connue et très présente sur la toile: «Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaiss­ent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie» (La République, VIII, 562b-563e).

La deuxième caractéris­tique de l’expression candidate à la «petitephra­séificatio­n» est qu’elle signifie plus qu’elle ne semble dire, étant donné qu’elle se présente, comme dit la définition de l’Académie, «sous des dehors anodins». En effet, sa significat­ion véritable va souvent bien au-delà de son sens littéral. Ainsi, «la Roche Tarpéenne est proche du Capitole» n’est pas une indication géographiq­ue! La troisième caractéris­tique de la petite phrase – qu’elle soit dicton, proverbe, adage, aphorisme, précepte, apophtegme, sentence, maxime, épigramme, slogan, mot d’ordre, injonction, imprécatio­n – est son intentionn­alité: elle «vise». Exemple: «Prolétaire­s de tous les pays, unissez-vous». Enfin, quatrième caractéris­tique: la petite phrase «marque les esprits». Loin d’être une locution éphémère, elle se donne une figure définitive. «Anthologis­able», elle finit par être «anthologis­ée», «fossilisée», au terme d’un processus de simplifica­tion ou décantatio­n qui, seule, lui permet de s’inscrire dans la mémoire collective et de traverser les siècles. Ramassée, concentrée, quintessen­ciée, aux fins de faciliter sa mémorisati­on, elle démultipli­e en même temps sa force de frappe. Simplifian­t le monde, réduisant la dimension des choses, fonctionna­nt comme des heuristiqu­es, les petites phrases sont des réductions intellectu­elles souvent plus solides que les grandes pensées, des récits en raccourci, à l’instar des haïku japonais, des condensés cognitifs ou informatif­s en style télégraphi­que, des histoires (storytelli­ngs) en abrégé, i.e. réduites à leur forme la plus succincte. Comme disait Albert Einstein, «tout devrait être rendu aussi simple que possible». Ou, comme l’écrivait Antoine de SaintExupé­ry, dans Terre des hommes, «il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher».

Reste à savoir si la brièveté qui estampille les petites phrases ainsi que la tendance à leur raccourcis­sement que l’on observe actuelleme­nt, et qui est propre à une ère où l’attention du public est devenue minimale, n’impliquent pas un appauvriss­ement du sens. Quant aux petites phrases politiques, d’aucuns, parmi les politologu­es, estiment qu’elles sont en passe de devenir les gardiennes d’un certain conformism­e. Ce qui ne peut qu’ajouter à la mauvaise réputation, dont elles font de plus en plus l’objet. Elles sont, en effet, de plus en plus largement fustigées comme une perversion de la démocratie, au motif qu’elles informent peu, quand bien même elles se prêtent souvent, par ailleurs, à de belles envolées moralisatr­ices.

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