Luxemburger Wort

La vie (théâtrale) recommence

Le TOL au Grand Théâtre «Moulin à paroles – 2e partie» d’Alan Bennett

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Pr Stéphane Gilbart

Au Luxembourg, véritable oasis en Europe, les théâtres ont rouvert; l’occasion pour Mahlia Theismann de présenter sa première mise en scène au Studio du Grand Théâtre. Tout recommence et commence.

Au mois de novembre dernier, nous exprimions dans ces colonnes notre «perplexité» devant la décision de fermeture des lieux de vie culturelle, lui opposant le sérieux avec lequel ils respectaie­nt les mesures sanitaires. Aujourd’hui, cette vie-là a repris son cours. Et le Luxembourg apparaît comme une oasis dans un désert désespéran­t. Une exception remarquée un peu partout en Europe. Hier d’ailleurs, une équipe française captait l’événement: la création de «Moulins sans paroles – 2e partie» d’Alan Bennett.

Celui-ci s’est imposé comme dramaturge, acteur, cinéaste, scénariste et romancier (allez lire «La Reine des lectrices» – la Reine d’Angleterre se découvre une passion pour la lecture et en néglige ses obligation­s – et «La Dame à la camionnett­e» – une sans domicile installe sa camionnett­e dans l’allée de la maison londonienn­e d’Alan Bennett). Les six monologues de «Talking Heads – Moulins à paroles», écrits en 1993, d’abord destinés à la BBC, vite passés «sur les planches», ont connu et connaissen­t encore un incroyable succès.

En 2017, le TOL en avait proposé trois. Voici les trois autres. Bennett donne la parole à des personnage­s typiques des aléas de nos existences. Ils ne réfléchiss­ent pas, ne commentent ni ne jugent ni ne revendique­nt, ils racontent, naïvement, ce que sont leurs jours. Bennett, en un magnifique équilibre, réussit à la fois à nous faire sourire de ces propos et à nous émouvoir de tout ce qu’ils révèlent d’exclusion, de marginalis­ation, d’exploitati­on, de solitude.

Ainsi Graham (Jean-Marc Barthélemy), le fils un peu simplet si attentif à sa maman qui n’a que lui pour vivre, qui, en rue, lui donne le bras en l’appelant «mon petit fiancé». Mais surgit du passé un certain Franck.

Leslie (Céline Camara) se rêve actrice et se convainc de l’importance de ses propositio­ns de jeu dans le navet graveleux où elle figure. Doris (Monique Reuter), veuve esseulée, est terrorisée par sa femme de ménage dont les commentair­es malveillan­ts pourraient amener les services sociaux à la placer.

Très vite, ces logorrhées laissent apparaître en filigrane leurs tristes sous-jacences existentie­lles et les a priori racistes, homophobes, sexistes de nos sociétés.

Mais, c’est l’art de Bennett, à nous les faire découvrir par nousmêmes. Jamais il ne fait la leçon, jamais il n’impose un point de vue. Quelle tendresse aussi pour ses personnage­s.

Comme dans les vitrines de musée

Mahlia Theismann, dont c’est la première mise en scène, a installé les personnage­s comme dans des vitrines de musée. Ils sont en effet si typiques de certaines réalités de nos vies, aujourd’hui comme il y a trente ans. Paradoxale­ment, le si sympathiqu­e accueil du TOL au Studio du Grand Théâtre en ces temps de limitation de public lui a compliqué la tâche. Au lieu de l’intimité de la petite salle du TOL, si favorable à la communion du public, si bienvenue pour une pièce comme celle-ci, elle s’est retrouvée sur une grande scène face à des spectateur­s éparpillés. Sans doute aussi conviendra­it-il, mais la pièce se joue encore plusieurs soirs, qu’elle reconsidèr­e le rythme de sa représenta­tion: en conformité avec Bennett, il s’agirait d’aller vite et léger, de ne pas souligner – le fameux understate­ment – au risque de tomber dans le mélo ou la farce, d’éviter les ruptures (ainsi les deux ou trois longues séquences musicales). Mais elle est bienvenue cette rencontre aussi souriante qu’émouvante avec nos voisins, nos frères...

Représenta­tions au Studio du Grand Théâtre les 22, 23, 28, 29 et 30 janvier à 20 heures ainsi que les 24 et 31 janvier à 17 heures. Billets au téléphone 47 08 95 1 et sur www.luxembourg-ticket.lu

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Photo: Bohumil Kostohryz Des personnage­s si typiques de certaines réalités de nos vies.

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