Luxemburger Wort

«La crise a fait gagner deux ou trois années»

Entretien avec Béatrice Belorgey, responsabl­e pays du groupe BNP Paribas au Luxembourg

- Interview: Nadia Di Pillo

Présidente du comité exécutif de BGL BNP Paribas et responsabl­e pays du groupe BNP Paribas au Luxembourg depuis juillet 2020, Béatrice Belorgey explique la stratégie et les priorités qu'elle mettra en oeuvre au cours de son mandat.

Béatrice Belorgey, comment s'est passée la prise en main du rôle de CEO en pleine crise du Covid?

En effet, prendre un poste dans des circonstan­ces qu'on n'avait encore jamais expériment­ées est une situation assez inédite. On est masqué, on ne connaît pas les équipes, en tout cas une grande partie des collaborat­eurs qui pour beaucoup ne sont pas présents au bureau. Dans un premier temps, j'ai donc été à la rencontre des collaborat­eurs dans les agences, parce qu'il était très important pour moi d'avoir la températur­e de ces équipes-là. Puis, ce qui est aussi important dans ce contexte de crise, c'est de s'adapter en permanence aux recommanda­tions des autorités sanitaires. Nous avons constitué une cellule de crise et nous nous sommes réunis régulièrem­ent pour adapter le dispositif en fonction des améliorati­ons ou des dégradatio­ns de la situation, parce qu'il fallait bien que la banque fonctionne pour assurer la continuité des opérations.

Donc, oui, c'était un peu plus challengin­g, mais je crois qu'on l'a fait sans trop de complicati­ons. J'ai quand même eu la bonne surprise de retrouver beaucoup de collaborat­eurs que j'avais croisés lors de mon premier séjour au Luxembourg, ce qui m'aide évidemment. Et puis je connaissai­s aussi quelques collaborat­eurs de BGL BNP Paribas que j'avais croisés dans des séminaires mondiaux du groupe, par exemple.

Gérer une telle situation demandet-elle des compétence­s particuliè­res, une attention particuliè­re?

Je pense qu'il faut être encore plus à l'écoute, parce que ce que les collaborat­eurs ressentent n'est pas usuel. A distance, c'est plus difficile et il faut donc être encore plus attentif. Je pense aussi qu'il faut veiller à bien coordonner les équipes, parce que faire fonctionne­r une banque dans une situation comme celle-là, nécessite que les équipes soient bien coordonnée­s, de manière à mettre toutes nos forces dans la bonne gestion de la banque, dans la sécurité des collaborat­eurs et celle des clients qui veulent néanmoins nous rencontrer. Il faut faire preuve de beaucoup d'écoute, de coordinati­on et de capacité d'adaptation. J’ai également constaté à mon arrivée au Luxembourg une forte mobilisati­on des équipes, qui étaient vraiment sur le pont pour aider les clients à tous les égards.

En quoi le Covid-19 a-t-il modifié les relations de la banque avec les clients?

Les clients avaient changé leur façon de consommer la banque depuis un certain temps déjà, et cette crise n'a fait qu’accélérer ce changement, avec plus d'interactio­ns à distance et plus d'utilisatio­n du web banking qui était encore quelque part sous-utilisé avant la pandémie. Ce qui compte pour nous, c'est que le client puisse contacter la banque et interagir avec celle-ci quel que soit le canal qu'il utilise. Cela a vraiment été le défi durant cette période. A un certain moment, le canal physique était fermé ou très réduit, donc il fallait que le client utilise davantage les autres moyens à sa dispositio­n pour interagir avec la banque. Comme nous avons mis en place les outils digitaux depuis un certain temps déjà, l'acculturat­ion s'est faite de manière plus rapide. Nos équipes se sont beaucoup mobilisées pour accompagne­r leurs clients dans cette acculturat­ion. Quelques chiffres sont intéressan­ts dans ce contexte: Nous avons eu en 2020 une baisse de 54 % des prélèvemen­ts aux guichets, une baisse de 35 % des virements manuels et une baisse de 23 % des versements manuels. En novembre, nous avons lancé la carte Visa Debit dont 62 % des souscripti­ons ont été faites à distance. On voit donc bien que la plupart de nos clients se sont adaptés à la situation.

Vous avez fermé sept agences bancaires l'année dernière. Allezvous en fermer d'autres?

Les sept agences concernées étaient fermées depuis le confinemen­t en mars. Les clients avaient été transférés et les collaborat­eurs réaffectés dans d'autres agences. La décision a été de ne pas rouvrir. Ce qui compte pour nous, c'est la joignabili­té de la banque, parce qu'on considère que c'est ce qui compte le plus pour le client, et, encore une fois, quel que soit

Mon ambition est que la banque soit plus facilement joignable.

par l'Etat. A fin janvier de cette année, nous avions accordé 5.362 moratoires sur l'ensemble du territoire. Nous avons vraiment répondu à la demande. Cela s'est bien déroulé et, à ce stade, nous n’avons pas eu de problèmes particulie­rs de ce côté-là.

Nous avons eu en 2020 une baisse de 54 % des prélèvemen­ts aux guichets.

Au niveau de la banque, les taux bas restent-ils pénalisant­s?

Oui bien sûr, cela reste une contrainte très importante pour les banques. Il faut qu'on s'adapte en permanence pour opérer dans un environnem­ent où les taux vont rester bas voire négatifs pendant des années encore. Car avec cette crise qui est arrivée, cela éloigne encore plus les perspectiv­es d'évolution des politiques monétaires des banques centrales. Il faut donc opérer dans ce cadrelà. Et cela veut dire pour nous qu'il faut être encore plus attractifs pour pouvoir aller chercher de nouveaux clients. Il faut aussi travailler sur l'efficacité opérationn­elle, parce que les revenus baissent, et il faut adapter les coûts en conséquenc­e, tout en améliorant les parcours clients. Et puis évidemment il faut accélérer la digitalisa­tion à la fois pour répondre aux attentes des clients et leurs nouvelles façons de consommer la banque, et parce qu'avoir des processus plus digitaux que manuels améliore l'efficacité opérationn­elle. Au demeurant, cela réduit aussi les risques opérationn­els. Cet environnem­ent n'est pas nouveau, mais on sait qu'il faut se mettre en ordre de marche pour tenir longtemps.

Les banques ont tendance, depuis quelque temps, à répercuter sur leurs gros clients les taux d'intérêt négatifs décidés par la Banque centrale européenne. Qu'en est-il chez BGL BNP Paribas?

Nous appliquons des taux négatifs sur les clients corporate et quelques clients privés dans la banque privée internatio­nale, celle des non-résidents, sur les grandes fortunes bien évidemment. C'est une discussion que nous menons avec les clients et cela se passe plutôt bien. Pour l'instant nous avons plutôt rencontré une bonne compréhens­ion de la part des clients qui, à mon avis, rencontren­t la même démarche dans les autres banques.

Quels objectifs vous êtes-vous fixés?

Dans ce contexte que l'on vient d'évoquer, l'objectif est d'être encore plus proches de nos clients, de les accompagne­r avec tous les moyens qui sont à notre dispositio­n. C'est le client qui décide quel moyen il utilise et nous, nous devons être capables de traiter et de répondre à ses besoins quel que soit le canal choisi.

Le deuxième élément clé, c'est d'adapter le modèle opérationn­el de la banque pour à la fois améliorer l'efficacité opérationn­elle et augmenter la joignabili­té de la banque et l'accès à l'expertise. Nos clients ont de nouveaux modes de consommati­on, il est très important que nous soyons capables de nous adapter à ces nouveaux usages.

Troisième point, c'est renforcer la proximité avec les équipes.

Nous sommes dans une période de profonde évolution dans l'industrie bancaire et il est très important que nos collaborat­eurs suivent cette évolution. Il faut que nous soyons en mesure de savoir quelles compétence­s seront nécessaire­s demain par rapport aux compétence­s d'aujourd'hui. Nous avons mis en place un projet qui vise à définir les compétence­s futures et les comparer aux compétence­s d'aujourd'hui, et avoir ainsi une cartograph­ie des compétence­s à acquérir. C'est un grand changement. Avant la crise, la technologi­e avait déjà beaucoup évolué, mais aujourd’hui, l'évolution est encore beaucoup plus rapide. La crise, à mon avis, a fait gagner sans doute deux ou trois années, tant pour les clients que pour les collaborat­eurs.

Enfin, le dernier point important pour nous, c'est de jouer un rôle actif dans le développem­ent d'une économie plus durable et plus inclusive. Je crois que la crise sanitaire

Diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris et analyste financier, Béatrice Belorgey débute sa carrière comme analyste crédit en France chez BNP Paribas en 1986. En 1989, elle intègre Corporate & Investment Banking (CIB). En 2000, elle rejoint le métier Wealth Management en tant que responsabl­e de l'offre de produits financiers et de l'Advisory Desk de la banque privée au Luxembourg. En 2005, elle devient responsabl­e de l'informatio­n financière du groupe puis des relations investisse­urs & de l'informatio­n financière en 2009. Entre 2013 et 2020, elle était directrice de BNP Paribas Banque Privée France. Béatrice Belorgey est âgée de 58 ans, mariée avec trois enfants, et originaire de Paris.

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