Le couple Hackin risque de passer dans l’oubli
Il y a 80 ans, Joseph et Ria Hackin, des éminents archéologues français de souche luxembourgeoise ont disparu en mer. Ils fréquentaient de nombreuses sommités comme les rois d’Afghanistan, le général de Gaulle, le ministre Joseph Bech et le couple Mayrisc
Le 24 février 1941, le couple Joseph et Ria Hackin, archéologues français de souche luxembourgeoise, compagnons de la libération à titre posthume, disparaissaient en mer à l’ouest des îles Shetland, suite au torpillage par un sousmarin allemand du navire anglais, le «Jonathan-Holt», qui devait les conduire en Afrique puis en Asie pour y accomplir la mission spéciale de propagande en faveur de la France libre, que le Général de Gaulle leur avait confiée. Ce mercredi fut donc le 80e anniversaire de leur disparition tragique qui nous amène à remémorer leurs exploits hors du commun et leurs découvertes archéologiques en Afghanistan.
Jeunesse et formation
Joseph Hackin est né au Luxembourg le 8 novembre 1886 à Boevange/Attert où il passa ses dix premières années avant de rejoindre en France ses parents et prendre la nationalité française en 1912. Ses parents, François Hackin et Amélie Clerf, avaient quitté le Luxembourg pour se faire embaucher, le père comme cocher, la mère comme gouvernante de maison au château Chailleuse près d’Auxerre dans l’Yonne. Hackin, après de brillantes études secondaires au lycée Lassalle de Dreux, devient en 1907, docteur en sciences politiques. Après la première guerre mondiale, où Hackin s’était distingué à de multiples occasions au front, il obtient, suite à sa thèse en 1916, le titre de Docteur ès lettres de l’Université de Paris, puis embrassa la carrière d’orientaliste ayant appris le tibétain et le sanscrit.
Joseph Hackin fut d’abord secrétaire d’Emile Guimet, industriel lyonnais, mécène et collectionneur, passionné d’Art grec, égyptien et asiatique qui avait crée en 1879 son musée à Lyon dont s’occupa d’abord Hackin. Par manque de place pour ses multiples pièces de collection, Guimet fonda un musée à l’identique à Paris en 1896, dont Hackin deviendra le conservateur en 1923. En 1928 Joseph Hackin obtint la chaire d’histoire de l’Art Inde/Asie Centrale à l’Ecole du Louvre spécialement créée pour lui.
Née le 7 septembre 1905 à Rombas/Moselle, d’un père luxembourgeois émigré en France, employé d’abord comme chef de triage, puis cafetier en 1924 à Ars-sur-Moselle, Ria partira pour Paris et sera auditrice libre à l’Ecole du Louvre où elle rencontrera Joseph Hackin son professeur. Ils se marieront le 23 septembre 1928 à Ars-sur-Moselle.
Les premiers déplacements en Afghanistan de Hackin datent de 1924 à l’appel d’Alfred Foucher, directeur de la Délégation archéologique française en Afghanistan, la DAFA, créée en 1922 à la demande d'Amanullah, le roi de l’Afghanistan (1919-1929). Entre 1924 et 1930, il séjourne souvent en Afghanistan en particulier à Bamiyan, ce site religieux aux bouddhas géants enclavés dans les grottes aux décors peints creusées dans la falaise. Sur invitation des époux Mayrisch, Joseph Hackin, lors d’une conférence avec projection, présentera le 27 février 1927 ses découvertes de Bamiyan dans le nouveau bâtiment de l’Arbed à Luxembourg. Lors de ce séjour à Luxembourg, l’avis de Joseph Hackin fut demandé au sujet de la construction du Musée National et de l’installation des Archives.
Ria Parmentier
Le Japon et la Croisière jaune
De 1930 à 1933, Hackin dirigea la Maison franco-japonaise à Tokyo ce qui ne l’empêcha pas de participer en 1931/32 à l’Expédition André Citroën , «la Croisière Jaune», dans le groupe «Pamir» partant de Beyrouth pour rejoindre à Aksou le deuxième groupe «Chine» venant de Pékin.
En 1934 la DAFA dirigée par Hackin se rendit en Afghanistan sur invitation du Roi pour trouver un accord concernant l’appartenance des pièces trouvées lors des fouilles archéologiques. Joseph Hackin et le Roi se mirent d'accord qu’une partie reviendrait au Musée de Kaboul dont Hackin était le superviseur, l’autre serait à la disposition de la DAFA. Hackin envoyait en priorité les pièces au Musée Guimet de Paris, puis en dépôt dans d’autres musées comme Berlin, Londres, Stockholm ainsi qu’au Luxembourg. C’est ainsi qu’en 1935 le Musée national se voyait attribuer vingt têtes caractéristiques de l’art Hadda. En 1936, les fouilles continuèrent à Kunduz, en Bactriane et au Seistan.
En 1937 à Bégram, Ria Hackin et Jean Carl, le fidèle compagnon du couple, vont mettre à jour un véritable trésor dans deux chambres ensevelies et cachées pour éviter leur pillage lors d’invasions guerrières vers 300 après J.C. Il s’agissait de statues, de verres, de vases, d’incunables indiens en ivoire, de plaquettes et statuettes en ivoire dont la fameuse «Nymphe de Bégram» ainsi que des ustensiles en bronze témoignant des influences de l’art grec, chinois et indien, à Bégram autrefois nommé Kapissa et ancienne capitale d’été à l’époque kouchane. Cette région était un véritable «melting pot» au carrefour de la Grèce, de la Chine et de l’Inde. En témoigne le film de Ria Hackin de 1937, qu’elle présenta lors d’une conférence en 1938 à Luxembourg. Ria Hackin ne s’est pas seulement distinguée par ses trouvailles archéologiques mais aussi par l’étude des «Us et Coutumes» des habitants inspirant le livre «Ria Hackin et Ahmad Ali Kohzad, Légendes et coutumes Afghanes» (1933). Elle avait également collectionné des jouets d’enfants en bambou lors du séjour au Japon (1930-33). Sa collection fut léguée au Musée de l’Homme à Paris. De 1939 à 40 les Hackin, toujours secondés par Jean Carl, poursuivirent leurs fouilles avec succès à Bégram.
Séjour à Londres
L’invasion de la France par Hitler va interrompre leurs projets et à l’appel du 18 juin 1940 du
Général de Gaulle ils vont rallier Londres ayant refusé l’offre de travailler pour le gouvernement de Vichy. A Londres ils s’installent à l’hôtel Piccadilly. Sur initiative de Ria Hackin, le ministre Bech quitta son hôtel pour rejoindre le couple Hackin au Piccadilly échappant ainsi par chance à la mort, son hôtel étant détruit peu après son déménagement lors d’un bombardement. Le 20 février 1941 Ria et Joseph Hackin embarquent à Liverpool sur le «Jonathan Holt» à destination des Indes en passant par l’Egypte et l’Afrique. Il était prévu de contacter des personnalités à chaque escale pour rassembler le plus de gens autour du Général de Gaulle. Dans la nuit du 24 février le «Jonathan Holt» est torpillé par le sous-marin allemand U97. Le couple Hackin disparaissait ainsi tragiquement au large des îles Shetland. Jean Carl ne supportant pas la perte de ses compagnons va délibérément les suivre dans la mort.
L’Afghanistan après 1973
Un Coup d’Etat chasse le dernier roi Mohammed Zahir Shah, en 1973 est proclamée la république d’Afghanistan. En 1978 un Gouvernement communiste appuyé par l’Union soviétique s’installe. De 1979 à 1989 est déclenchée la première guerre d’Afghanistan entre l’armée soviétique et Massoud, chef de l’opposition des moudjahidins secondé par les Etats Unis.
De 1992 à 1996, des luttes acharnées opposent Massoud et Hekmatyar, le leader du Parti fondamentaliste. Les Islamistes prennent le pouvoir à Kaboul et dès 1996 les Talibans imposent leurs lois avec rigueur sous le Mollah Omar. Oussama Ben Laden, expulsé du Soudan, revient en Afghanistan et prend la tête de Al Quaida. Entre 1992 et 1994 lors de ces guerres partisanes, Kaboul est largement détruite et son musée pillé. 2001 Massoud est assassiné lors d’un attentat-suicide à la veille des attentats sur les tours jumelles à New York. Par édit du 25 février 2001, le Mollah Omar ordonne la destruction par dynamitage des Bouddhas de Bamiyan ce qui sera exécuté le 11 mars 2001.
Tout semblait perdu
Fort heureusement, de nombreuses pièces furent sauvées bien cachées, par une poignée d’Afghans au risque de leur vie. Elles referont surface en 2003 après le départ des Talibans et le musée sera reconstruit. A la demande du président Chirac, l'ex-roi en exil Zaher Shah et Hamed Karzai, le Président de la république islamique d’Afghanistan, rendent possible à Paris la première exposition à l’étranger des chefsd’oeuvres récupérés. Le catalogue faisait état de l’importance des trouvailles de la DAFA notamment à Bégram et par conséquent du travail du couple Hackin et de Jean Carl sur le croisement des arts grec, indien et chinois, ainsi que sur l’influence de diverses religions bouddhisme, zoroastrisme, islamisme.
En 2018 une autre exposition a eu lieu à Paris, au Musée de l’Ordre de la Libération, de juin à septembre 2018 et dont Monsieur Vladimir Trouplin était le conservateur, avec comme thème: «De l’Asie à la France libre, Joseph et Ria Hackin archéologues et compagnons de la libération.» Toutes ces prestigieuses expositions soulignent l’hommage que rend la France à ces découvertes archéologiques à l’heure actuelle.
La maison natale de M. Hackin
En 2018 parut dans un journal luxembourgeois l’annonce de la mise en vente de la maison natale de Joseph Hackin à Boevange. La demeure occupée jusqu’alors par la nièce de Ria Hackin, changea ainsi de propriétaire. Quelle destinée pour ces lieux? Des articles parus en mars 2020 dans le «Quotidien» et dans le «Luxemburger Wort» interrogent sur le sort de cet ensemble dont la maison d’habitation est classée. Couchée comme une marmotte le long de la rive de l’Attert, cette ferme à cour intérieure contribue au charme de Boevange.
Bel ensemble datant du 18e et 19e siècle, comme on en trouve de moins en moins au Luxembourg, il mérite bien une place dans notre patrimoine, au même titre que les maisons telles que celles de Victor Hugo, Robert Schuman, Tony Bourg, Michel Lucius, Nicolas Hein,...
Joseph Hackin, personnage au parcours exceptionnel, fréquentant des sommités comme les rois d’Afghanistan, le général de Gaulle, le ministre Bech, le couple Mayrisch, a certes sa rue au Kirchberg et à Boevange, son arrêt de bus au Weimershof et sa plaque-souvenir sur la façade de la maison natale apposée en 1967 par le ministre Pierre Grégoire en présence de M. Bech. Malgré cela, le souvenir du couple Hackin risque de sombrer dans l’oubli et mérite une bien plus grande attention.