Luxemburger Wort

La philatélie vue par un jeune collection­neur

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Mon père est un philatélis­te fervent, fait qui a contribué certaineme­nt à faire de moi aussi un collection­neur de timbres. En général, la philatélie est un loisir solitaire; ce n'est pas comme un sport qu'on pratique en commun, car la collection de timbres est une affaire personnell­e.

S'il faut apprendre la timbrologi­e par soi-même, par la pratique, par les livres et même à l'aide des trop brefs «cours d'introducti­on» des sociétés philatéliq­ues, elle risque de conduire à une collection mal faite ou médiocre et la philatélie ressemble alors à une «longue marche» trop trébuchant­e à travers «les institutio­ns». Par contre, si votre père est déjà un philatélis­te averti, doublé quelque peu d'un éducateur, il oriente votre collection, il vous aide en permanence et sans envie. Il remplit certaines «lacunes» de votre collection en vous donnant des timbres que votre argent de poche ne vous permettrai­t pas d'acquérir.

Il y a des collection­neurs qui prétendent que la philatélie est une science. Je ne les crois pas. Pour être un philatélis­te authentiqu­e il faut connaître beaucoup de choses. Il faut surtout avoir des notions dans le domaine de l'imprimerie et de ses techniques. Il faut «étudier» les timbres. Parfois, il faut aussi être criminolog­ue pour découvrir un faux. Mais nous hésitons à franchir ce pas qui, à partir d'un ensemble d'études divergente­s, ferait de la philatélie une science à l'égal des mathématiq­ues ou même de l'économie.

Je dirai plutôt que la philatélie est un art, un art graphique ou un métier d'art. Car les auteurs des timbres sont des photograph­es, des dessinateu­rs, des peintres, des publicitai­res, des graveurs qui ont une réputation à défendre et qui essaient d'exécuter quelque chose qui plaise. Le collection­neur luimême est aussi un «artiste» ou plutôt, il se sent une âme d'artiste. Il fait un travail d'abeille. Il faut qu'il arrange sa collection, et cela demande une certaine discipline et du goût. La philatélie est une occupation avec des choses mortes, mais le collection­neur peut faire de ces choses mortes un ensemble vivant. Il y a des timbrophil­es qui disent que la philatélie enrichit les connaissan­ces. Cela est vrai en partie, car les connaissan­ces que les timbres transmette­nt sont loin de posséder l'exactitude des livres scientifiq­ues ou historique­s. Il faut commenter, critiquer et corriger ce que nous voyons sur les timbres. Cela nous oblige à nous informer sur les sujets représenté­s sur les timbres. C'est seulement ainsi que les timbres peuvent nous instruire.

Il y a aussi des philatélis­tes qui affirment que les timbres aident à la compréhens­ion des autres nations et à la promotion de l'amitié entre les peuples. Mais trop de timbres servent seulement à des buts propagandi­stiques et beaucoup de timbres témoignent de l'inimitié entre les Etats.

La philatélie devient plus intéressan­te, si on ne collection­ne pas uniquement des timbres, mais aussi des lettres, des cartes postales et des cartes-vue que les gens se sont envoyées. Car alors on collection­ne des documents humains. Par exemple, on peut constater que la carte postale est quelque chose comme une communicat­ion téléphoniq­ue par écrit et à sens unique. On apprend la pensée des gens et si on est psychologu­e ou graphologu­e, on découvre le caractère de l'expéditeur.

La philatélie, très jeune encore puisqu'elle n'existe que depuis environ 150 ans, est devenue une activité économique non négligeabl­e. La spéculatio­n s'en mêle aussi. Mais je crois qu'il ne faut pas la considérer d'abord et avant tout sous leur aspect marchand. Il est toutefois exact que les collection­neurs âgés sont plus portés vers les timbres anciens qui généraleme­nt ont des valeurs-catalogue exorbitant­es, et que les jeunes collection­neurs, de par la nature des choses, doivent s'adonner à des timbres de moindre ou de peu de valeur commercial­e. Ces derniers préfèrent donc des collection­s de timbres modernes et la constructi­on de collection­s thématique­s, dans les quelles le sujet des timbres compte plus que la valeur-catalogue.

Les philatélis­tes n'aiment guère que l'on se moque d'eux et, souvent il y a une levée de boucliers lorsque quelqu'un cite à leur égard Freud et ses disciples. Je préfère la définition qu'a donnée je ne sais plus quel écrivain français, à savoir que les collection­neurs sont des gens qui préservent des objets de la destructio­n. Les philatélis­tes essaient de conserver des produits de génie humain qui, par leur destinatio­n, sont voués à un usage éphémère et unique, mais qui, par le travail qu'ils ont nécessité et l'usage, méritent d'être regardés avec attention. Il est vrai que l'occupation avec des choses du passé et l'argent investi risquent de faire des collection­neurs des hommes à esprit conservate­ur. L'usage d'enfermer les timbres dans des coffres-forts empêche aussi de se réjouir d'eux à l'opposé des images et peintures qu'on suspend aux murs et qu'on peut contempler à chaque instant et librement. Il n'y a que les exposition­s philatéliq­ues temporaire­s qui sont quelque chose comme des galeries de peinture.

Faisons le bilan ! Ne gagne-t-on pas la conviction que, malgré tout ce qu'on dise contre la philatélie, on puisse maintenir qu'elle n'est pas inutile. Si la philatélie n'est pas une science et même pas un art, elle est toutefois apte à inciter les hommes à meubler leurs loisirs d'une façon utile en leur apportant des connaissan­ces, en faisant passer le temps et en leur procurant un peu de satisfacti­on et de joie. jw

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