Luxemburger Wort

Du chemin à la musique

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... en marge du texte

Après son grave accident, l’écrivain et voyageur Sylvain Tesson parcourt «les chemins noirs», ces pistes faites «de ruines et de ronces» qui forment un réseau oublié et qui dessinent une cartograph­ie du temps perdu. Peut-être que sur ces chemins on croise aujourd’hui encore l’escargot, qui – comme disait l’écrivain et journalist­e Alexandre Vialatte – est naturellem­ent héroïque: il ne recule jamais...

L’écrivain néerlandai­s Cees Nooteboom est lui aussi un grand adepte des petits chemins. Il partage son goût pour le vagabondag­e à travers des récits, des romans et des poèmes, et je me rappelle vaguement sa réflexion sur les chemins parue dans son livre «Le Labyrinthe du pélerin». Dans ce récit palpitant, Cees Nooteboom explique sa manière de se décider sur «ses chemins de Compostell­e», lequel il va prendre à la fin. D’abord il scrute sa carte routière, puis se laisse guider par les chemins qu’on oublie facilement, ces lignes toutes pâles, toutes fines, qu’on aperçoit à peine sur la carte, il se refuse ainsi les gros traits colorés en rouge et en jaune, il évite les lignes toutes droites pour ne porter son regard que sur celles qui tortillent et qui font des boucles interminab­les.

Dans son recueil «Un art du voyage», encore de Cees Nooteboom, l’écrivain publie un joli poème sur un chemin à travers l’Espagne sur lequel on peut facilement s’imaginer un Don Quichotte errant à cheval: «Je suis le chemin / Je suis comme une flèche /tendu vers le lointain, / mais dans le lointain / je ne suis / plus rien. / Si tu me suis, / par ici par là par ici, / tu arriveras forcément, / quoi qu’il en soit. / Parti de rien.»

Partir et arriver. «L’origine de toutes choses est le mouvement» disait le philosophe arabe Ibn Arabi (1165-1240) que cite, toujours Cees Nooteboom, dans son livre «Hôtel Nomade». Ah, les nomades des steppes et du désert ... là, il faut absolument que je vous parle de Bruce Chatwin (19401989), cet expert en peinture moderne chez Sotheby’s à Londres devenu du jour au lendemain aveugle, ce qui l’amène à rompre avec son immobilism­e. En troquant ainsi le commerce des tableaux pour les voyages et des cadres plus larges, il retrouve la vue et avec elle les horizons lointains.

En 1987, Chatwin publie «Le chant des pistes», une chronique nomade de l’Australie qu’il parcourt avec un certain Arkady, un chasseur de brousse d’origine russe qui, une fois rentré chez lui, tire les rideaux et laisse dehors la chaleur et la lumière écrasantes du bush pour se mette au clavecin et jouer du Bach.

Chatwin accompagne Arkady pour dresser une carte des sites aborigènes et pour essayer de percer le mystère de ces sentiers invisibles qui sillonnent le territoire australien, connus sous le nom de «songlines», «itinéraire­s chantés» ou «pistes des rêves». Les ancêtres des aborigènes ont laissé dans leur sillage une suite de mots, un bout de rêves, une note de musique qui se transmette­nt et forment alors des voies de communicat­ion entre les tribus les plus éloignées. Ce sont des cartes qui peuvent se lire comme une partition musicale: «Les anciens s’ouvrirent un chemin dans le monde entier par leur chant. Ils chantèrent les rivières et les montagnes, les lacs salés et les dunes de sable. Ils chassèrent, mangèrent, firent l’amour, dansèrent, tuèrent: partout où les portaient leurs pas, ils laissèrent un sillage de musique.» mt

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