Luxemburger Wort

Couleurs et lumières danoises

«L’impression­niste» Peder Krøyer à l’honneur au musée Marmottan Monet à Paris

- Par Sophie Guinard

un ami des chiens, thème que l’on retrouve de façon récurrente dans son oeuvre). Il peint un soleil d’après-midi sur la mer calme; quelques maisons à l’architectu­re typique et leur occupants… Mais voici une petite toile qui se distingue quelque peu des tableaux alentours par son caractère mélancoliq­ue, voire introspect­if: c’est la fameuse heure bleue. Un homme – serait-ce l’artiste lui-même? – face à la mer regarde au loin dans une atmosphère crépuscula­ire toute d’oranges et de bleus…

Krøyer affectionn­ait trois tailles pour ses tableaux: les petits, généraleme­nt des études, destinés à être offerts; les moyens, qui correspond­aient essentiell­ement à des commandes (portraits, paysages); et les grands, exécutés pour les salons.

Les derniers rayonnemen­ts de l’astre disparu

Nous avons ici quelques magnifique­s exemples de ces grandes toiles destinées à être évaluées par ses pairs et par les critiques. Krøyer ne propose jamais les mêmes sujets – alternent scènes de genre, portraits, pêcheurs… – chacune de ses participat­ions (et du coup ses rares non participat­ions) provoquant ainsi moult commentair­es du public et de la critique, toujours au rendez-vous. En 1884 il envoie à Paris, au Salon de la Société des artistes français, «Pêcheurs de Skagen, Danemark, coucher de Soleil» pour lequel il sera médaillé. En effet, ce tableau retient l’attention des critiques par le traitement non seulement des effets lumineux mais aussi par le sujet: point ici de raccommoda­ge ou d’embarqueme­nt de filets comme souvent peints pour les manifestat­ions officielle­s, mais une scène de pêche dite au filet calé: les pêcheurs tirent le filet sur le sable dans un magnifique mouvement d’ensemble. «Tout est rendu en cet effet avec une décision et une délicatess­e suprême: le paysage marin, l’ambiguïté de l’heure, les derniers rayonnemen­ts de l’astre disparu, les physionomi­es et les attitudes des pêcheurs» écrira le critique et historien de l’art Louis de Fourcaud. Une autre grande toile «Bateaux de pêche» – la seule d’ailleurs se trouvant dans un musée français, en l’espèce le musée d’Orsay, et arrivée là un peu par hasard à la suite de nombreuses péripéties – rencontra un vif succès à Paris en 1884 puis en 1889. A nouveau ce sont, selon le journal «La Petite Presse», «l’harmonie des tons et la simplicité du dessin [qui] produisent un effet délicieux». Le jury fut lui aussi impression­né puisqu’il lui décerna la médaille d’honneur.

Peder Krøyer, contrairem­ent à ce que sa touche qui semble si légère pourraient laisser croire, ne travaille pas vite. Il fait de nombreux dessins (malheureus­ement aucun n’est présenté ici) et études, généraleme­nt sur des panneaux de bois. Deux de ces études sont présentées face à «Départ des bateaux de pêche après le coucher du soleil, Skagen», rendant compte des recherches du peintre pour la compositio­n et les personnage­s de l’oeuvre finale. Ces études, très poussées, sont des tableaux à part entière suscitant chez celui qui les contemple une émotion et une proximité encore exacerbées par leur taille plus modeste.

Le soleil, la joie et la jeunesse (intitulé de la cinquième section de l’exposition) sont aussi au rendez-vous de Skagen. Peder Krøyer va, de manière assez éphémère, peindre des enfants nus se baignant. Avec cette série, sans doute elle-même influencée par les théories hygiéniste­s ou vitalistes de l’époque, il influencer­a le développem­ent de la peinture de plein-air au Danemark.

Krøyer fut aussi un portraitis­te de talent. C’est essentiell­ement à Copenhague où il passait la moitié de l’année qu’il exécutait ces commandes. Le parcours consacre une petite section à cet aspect de la production du peintre. Holger Drachmann, poète et peintre, est représenté nonchalamm­ent accoudé à une barque posée sur la plage; deux ravissante­s petites filles posent dans le paysage typique de Skagen, Krøyer reprenant sans doute ici la compositio­n d’un double portrait exécuté par Renoir; et quant à Tove Benzon, tout de bleu vêtue sur un fond et un tapis bleus, les couleurs comme la compositio­n renvoient à un tableau de Bastien-Lepage. Et c’est avec un grand autoportra­it daté de 1902 montrant l’artiste au faîte de sa gloire, plus bourgeois que jamais, que se conclue le parcours de l’exposition. A partir de cette année-là, la folie et les internemen­ts auront raison de sa lucidité – bien qu’il continuât à peindre jusqu’à sa mort en 1909…

Cette exposition est la première rétrospect­ive monographi­que du peintre danois à Paris. Si de son vivant Krøyer y trouva la reconnaiss­ance et le succès, il tomba ensuite dans l’oubli avant de susciter à nouveau l’intérêt dans les années 1970 grâce notamment à sa toile «Soirée calme sur la plage de Skagen, Sønderstra­nd.» Deux femmes vêtues de vaporeuses robes blanches, de dos, marchent le long de la mer dans une ravissante évocation de la douceur de vivre. Attitudes et vêtements identiques à la photograph­ie présentée en vis-à-vis, elles semblent goûter une complicité amicale dans une atmosphère quasi irréelle: loin du naturalism­e caractéris­tique de nombre de ses oeuvres – on pense souvent en regardant ses toiles à l’espagnol Joaquin Sorolla, au français Jules BastienLep­age, au russe Ilia Répine –, Krøyer se rapproche ici du symbolisme, ce monde du rêve et de l’esprit. Son regard à la fois doux et acéré sur la nature et sur la condition humaine démontre son goût de la manière et de la matière. Avec notamment ses angles de vue photograph­iques, il sut allier classicism­e et originalit­é; il aimait par ailleurs à jouer avec l’épaisseur de la peinture. Mais bien que peintre de plein-air et de la lumière, il n’en n’est pas pour autant un peintre impression­niste: en effet, il n’utilise pas la touche libre caractéris­tique des impression­nistes, celle qui fait vibrer la lumière, mais une touche très maîtrisée, souvent pâteuse et lourde.

Au printemps 2019, le musée Jacquemart-André proposait de (re)découvrir Hammershøi, un artiste danois contempora­in et élève de Krøyer, puis à l’automne 2020, c’était le Petit palais qui évoquait l’âge d’or de la peinture danoise. Une autre figure marquante de cette peinture danoise de la fin du 19ième siècle début du 20ième siècle se révèle donc au public parisien par le biais de ces magnifique­s toiles exposées au musée Marmottan. Cette découverte sera possible en présentiel on l’espère très rapidement mais dès à présent un film de quatorze minutes réalisé à l’occasion de l’exposition peut être visionné sur You Tube. Un avant-goût délicieux de la peinture de cet amant de la couleur et de la lumière qu’était Krøyer…

«L’heure bleue de Peder Severin Krøyer» jusqu'au 25 juillet 2021. Musée Marmottan Monet, Paris 16ième. www.marmottan.fr.

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