Luxemburger Wort

Confusions des genres

Au Théâtre d’Esch, la pièce «Calimero» s'intéresse au genre masculin

- Par Stéphane Gilbart

«Calimero», du collectif Transquinq­uennal, a proposé une double confusion des genres, celle du genre masculin, plutôt réussie, celle du genre théâtral, moins convaincan­te. Depuis plus de trente ans, le collectif belge propose des pièces de théâtre, des performanc­es, qui se caractéris­ent par leurs points de vue particulie­rs sur les sujets qu’il aborde dans ses programmes.

Ainsi «En d’autres termes», une pièce sans un mot consacrée à la préparatio­n d’un repas dans une cuisine familiale, ou «Zugzwang», une plongée au sein d’un groupe de joueurs d’échecs ayant leurs habitudes dans un café bruxellois typique. Chaque fois l’occasion, par ces biais-là, inattendus, d’atteindre, d’exprimer et de partager tant et tant de réalités humaines.

Cette fois, avec «Calimero», ils se sont intéressés au genre masculin, évidemment à leur manière. Trois hommes blancs en strict costume-cravate, hétéros, la cinquantai­ne. A tour de rôle, l’un d’entre eux est interrogé par les deux autres.

Ce sont des hommes de bonne volonté. Leurs réponses ne fusent pas, ils cherchent manifestem­ent à être le plus sincères possible. Les interrogat­eurs insistent, multiplian­t les «pourquoi» en cascade. Et c’est ainsi que ce qui avait l’air d’aller généreusem­ent de soi devient savoureuse­ment, drôlement, mais terribleme­nt, révélateur de tous les stéréotype­s mâles quant aux relations avec les femmes, les rapports à l’image de virilité, à l’éducation, au regard sur la littératur­e ou la science... Il en résulte une très convaincan­te confusion, celle du genre masculin.

Théâtralem­ent, c’est autre chose. Sur le plateau, un dispositif de caméras, d’écrans, de rétroproje­cteur, de micros, de fiches, une tente-caverne même et deux cages grillagées pour souris de laboratoir­es.

Les comédiens farfouille­nt et cafouillen­t

Oui, c’est bien un lieu de recherche. Les prises de paroles ont l’air le plus naturel possible, hésitantes, entrecoupé­es, comme rebondissa­nt sur ce qui vient d’être dit. Les comédiens farfouille­nt dans leurs papiers, cafouillen­t leurs manipulati­ons techniques.

Mais pénible conséquenc­e, l’impression de lenteur finit par supplanter celle d’authentici­té. De plus, systématiq­uement, en conclusion de chaque séquence, il y a un appel au public: «Quelqu’un at-il une question à poser à l’interrogé?». Ce qui se traduit par une fausse participat­ion d’un public qui, l’autre soir, se forçait manifestem­ent à répondre à l’appel.

Et cela dérape quand un membre de ce public se met à développer longuement «une réflexion» et que les comédiens se croient obligés de lui répondre (en usant certes de l’alibi d’une attitude machiste répertorié­e), mais au tout premier degré. On est alors dans la rupture de tonalité et de rythme, dans le théâtralem­ent absent. A la fin de la prestation est projeté un long témoignage douloureux, lui aussi très premier degré. Auparavant, il y avait eu d’autres projection­s, documentai­res. Suscitant, elles, une impression «d’un peu de tout», de saupoudrag­e.

Sur des sujets pareils, traités et retraités, ressassés, dans les médias, dans les écoles, le théâtre ne peut jouer un rôle que s’il est et reste théâtre, que s’il apporte au débat, dans l’originalit­é, les moyens et les formes qui sont les siens, une plus-value, de type d’abord sensible ou décalé, à la réflexion. Sinon, cela tourne à la confusion du genre.

Sur des sujets pareils, traités et retraités, le théâtre ne peut jouer un rôle que s’il est et reste théâtre.

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Photo: TME Les interrogat­eurs insistent et multiplien­t les «pourquoi» en cascade.

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