Luxemburger Wort

Un fou de cinéma

Décès hier à l’âge de 79 ans du réalisateu­r Bertrand Tavernier, un artiste engagé à l’oeuvre éclectique

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Paris. Éminente personnali­té du cinéma français, artiste engagé à l’oeuvre éclectique et reconnue à l’étranger, Bertrand Tavernier a réalisé avec bonheur des films d’époque et contempora­ins, avec une prédilecti­on pour les sujets sociétaux. Il fut aussi un grand cinéphile investi dans la préservati­on et la transmissi­on des films, mû à la fois par le souci de défendre un cinéma français indépendan­t et la passion pour le cinéma américain du 20e siècle. C’est justement cette passion là qu’il partageait avec Fred Junck, le fondateur de la Cinémathèq­ue de Luxembourg, décédé 25 ans avant lui. Les deux s’étaient rencontrés comme jeunes étudiants à l'Institut des hautes études cinématogr­aphiques (IDHEC) à Paris.

Les films de Bertrand Tavernier ont été largement récompensé­s: prix 74 Louis-Delluc pour «L'horloger de Saint-Paul», nomination aux Oscars 83 pour «Coup de torchon», prix de la mise en scène à Cannes en 1984 pour «Un dimanche à la campagne», BAFTA 90 du meilleur film étranger pour «La vie et rien d'autre», Ours d'Or 95 à Berlin pour «L'appât», Lion d'Or à Venise pour l'ensemble de sa carrière.

En France, ce fou de cinéma, stature imposante et chevelure généreuse blanchie par les années, scénariste de ses propres films, a reçu cinq César (dont ceux de meilleur réalisateu­r en 1976 pour «Que la fête commence» et en 1997 pour «Capitaine Conan») et ses films furent nominés une quinzaine de fois. On lui devait aussi «Le juge et l'assassin» (1976), «Une semaine de vacances» (1980), «Autour de minuit» (Oscar de la meilleure musique en 87), «L.627» (1992), «La fille de d'Artagnan» (1994), «Dans la brume électrique» (2009), «La princesse de Montpensie­r» (2010) ou «Quai d'Orsay» (2013).

Gravité et émotions secrètes

Films policier, politique, historique, d'aventure, de guerre... : au total, une oeuvre teintée de gravité et d'émotions secrètes, en guerre contre les injustices, le racisme, la drogue ou le chômage, marquée par le goût de la narration et des personnage­s, ceux-là même que rejetait la Nouvelle vague.

Le cinéaste a reçu en 2015 à la Mostra un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière.

Son but était «d'explorer et d'apprivoise­r des époques et des univers à travers des personnage­s pris en affection» et aux destins compliqués. «Ne pas ennuyer, c'est une question de politesse!», ajoutait-il en soulignant son «plaisir physique» à être sur les plateaux, à diriger les acteurs. Comme son ami, son «frère», Philippe Noiret, avec qui il tourna six films.

Bertrand Tavernier est né le 25 avril 1941 à Lyon, haut lieu du cinéma avec l'Institut Lumière dont il était président.

Fils de l'écrivain et résistant René Tavernier, il découvre le cinéma lors d'un séjour en sanatorium. Monté à Paris, il fonde, avec des amis, le ciné-club NickelOdéo­n et collabore dans les années 60 à différente­s revues.

Assistant sur «Léon Morin, prêtre» de Jean-Pierre Melville, il devient attaché de presse de films de Jean-Luc Godard, Claude Chabrol ou de Georges de Beauregard, le producteur de la Nouvelle vague. En 1970, il cosigne un livre qui deviendra une référence : «30 ans de cinéma américain» (réédité et actualisé). Il publie aussi des entretiens avec de grands auteurs d'Hollywood (1994). Il assurait être devenu metteur en scène «à cause de son admiration pour les westerns».

Bertrand Tavernier s'était engagé dans de nombreux combats: contre la censure, contre la torture pendant la guerre d'Algérie, en faveur des sans-papiers, pour la redécouver­te de scénariste­s oubliés, pour la défense du cinéma européen contre le mercantili­sme du cinéma américain.

«Je ne suis pas plus blasé maintenant que quand j'ai démarré», assurait-il en 2016 en présentant son documentai­re «Voyage à travers le cinéma français», une histoire très personnell­e du 7e art. Ces artistes «sont des gens qui me nourrissen­t de façons différente­s. Ce qui est beau, c'est la variété des approches. J'essaie de plaider pour ça. C'est l'anti-formatage», expliquait-il. AFP/mt

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Photo: AFP

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