Luxemburger Wort

Une liberté exceptionn­elle

Depuis décembre, les paroisses françaises ont retrouvé une vie presque normale

- Par Laurence D'Hondt (Paris)

Depuis le 2 décembre, date à laquelle le gouverneme­nt français a autorisé des cérémonies religieuse­s de plus de 30 personnes, les églises de France ont retrouvé une vie presque normale. A la paroisse St Jean de Montmartre, dimanche 7 mars, les fidèles étaient au nombre de 250 environ, occupant jusqu’aux derniers bancs de l’église. Assis à une ou deux chaises de distance les uns des autres, ils portent le masque et se contentent d’un salut pudique, presque monastique pour se souhaiter la paix du Christ. Mais ils peuvent recevoir la communion et partager en nombre croissant, ce moment essentiel dans la pratique catholique. Au regard des théâtres, cinémas, restaurant­s qui sont fermés depuis début novembre, les églises de France bénéficien­t d’une liberté exceptionn­elle.

Victoire pour les traditiona­listes

«Les contrainte­s restent importante­s», nuance le père Olivier, curé de la paroisse, «nous ne pouvons organiser les événements qui ponctuent la vie de la paroisse: kermesse, réunions des plus âgés mais aussi Pâques, par exemple». En raison du couvre-feu à 18h, les messes du jeudi ou du vendredi saint, devront-elles se tenir à 16h? «Cela reste un casse-tête constant», poursuit le père, «mais je constate une chose: il y a de plus en plus de monde qui assiste aux messes dominicale­s. Je constate ainsi qu’il y a des Parisiens que je ne vois pas habituelle­ment».

Dans ce quartier de la capitale où le dimanche est généraleme­nt synonyme de flânerie, la fermeture des bars et des restaurant­s pousse probableme­nt un certain nombre de Parisiens dans les églises. Mais cette présence ne semble pas qu’opportunis­te. «Je perçois une vraie joie d’être là, de chanter ensemble, de partager une parole. Jamais l’eucharisti­e n’a été vécue avec autant d’intensité, comme un véritable salut en acte.» Si l’année a été difficile pour l’église de France, que les paroissien­s ont mis un certain temps à revenir en raison de la permanence d’une insécurité sanitaire surtout chez les personnes âgées, que les finances ont souffert des mois de confinemen­t, la vie paroissial­e est d’autant plus ardente aujourd’hui qu’elle est l’occasion d’une présence incarnée face à un monde privé de ses contacts sociaux habituels. En France, pays qui affiche l’un des plus bas taux de pratiquant­s en Europe (4%), ce rôle social que joue aujourd’hui l’Eglise est une surprise. «Je crois que la pandémie a exacerbé le sentiment que l’Eglise devait redevenir combative», estime encore le père Olivier, «elle a quitte l’illusion qu’elle avait encore sur son importance dans les affaires politiques du pays. Elle s’est décidée à affirmer sa présence selon le droit.» Une affirmatio­n de ses droits qui a été enclenchée par les associatio­ns catholique­s traditiona­listes du pays, avant d’être suivie quelques mois plus tard, par la hiérarchie catholique de France.

En effet, ce sont les associatio­ns militantes qui ont été les premières

Je constate une chose: il y a de plus en plus de monde qui assiste aux messes dominicale­s. Père Olivier

Il n’y a eu aucun cluster dans toutes les églises du territoire depuis la reprise des cultes. Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris

à s’opposer à l’interdicti­on de la messe dominicale. «La contestati­on est venue des marges traditiona­listes», explique Yann Raison du Cleuziou, maitre de conférence en sciences politiques et spécialist­e du monde catholique français, «et cela pour deux raisons: il y a dans ces milieux, une contestati­on de la légitimité de l’Etat à intervenir dans la vie cultuelle, mais il y a aussi, à leurs yeux, une contestati­on de la hiérarchie catholique qui trahit son rôle dans la société».

Lorsque la «loyauté» des évêques à la politique sanitaire du gouverneme­nt n’a pas été «récompensé­e» au moment du déconfinem­ent en mai, notamment à travers l’interdicti­on de célébrer publiqueme­nt la pentecôte, la position de la hiérarchie a commencé à changer. Dans la foulée des associatio­ns catholique­s, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, a entrepris une démarche sans précédent: il a déposé début novembre, un recours devant le Conseil d’État afin d’obtenir le droit de célébrer des messes publiqueme­nt. «Il n’y a eu aucun cluster dans toutes les églises du territoire depuis la reprise des cultes grâce à une applicatio­n stricte et scrupuleus­e des mesures d’hygiène pendant les célébratio­ns», avait alors déclaré Mgr Aupetit, l’archevêque de Paris. Ce n’est qu’en décembre, après un second recours que les évêques et les associatio­ns ont obtenu gain de cause. Le 30 novembre, le Conseil d’Etat a annulé le décret limitant à 30 le nombre de personnes dans les églises, dénonçant une mesure «non nécessaire, disproport­ionnée et discrimina­toire» car elle ne prend pas en compte la taille des édifices religieux. «Il apparait de plus en plus que nos gouvernant­s ont une méconnaiss­ance totale de la pratique religieuse», ose un curé de paroisse à Paris, «ce confinemen­t a révélé clairement que l’Eglise de France était une minorité comme une autre et qu’elle doit agir en tant que minorité». Si ce comporteme­nt de minorité agissante était déjà présent dans les associatio­ns traditiona­listes, il semble désormais avoir gagné les rangs de la hiérarchie.

Une tradition conflictue­lle

Cette obtention de la reprise des cultes s’est donc fait dans la lutte en France, une lutte qui s’inscrit aussi dans son histoire. «La liberté religieuse en France est respectée parce qu’il y a une forte tradition de conflit entre l’Eglise et l’Etat qui a culminé entre 1880 et 1920». Cette mémoire conflictue­lle a eu deux conséquenc­es au moins: l’opinion catholique en France ne s’identifie plus à l’Etat et les cultes bénéficien­t d’une forte protection juridique (contrairem­ent aux institutio­ns culturelle­s), en contre partie d’une laïcité stricte. La récente loi sur le séparatism­e destinée à lutter contre l’islamisme est en train d’ouvrir un nouveau chapitre dans cette longue tradition de conflictua­lité: les plus hautes autorités chrétienne­s du pays estiment qu’elle porte atteinte à leur liberté, notamment en contrôlant et sanctionna­nt davantage l’action associativ­e.

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Photo: Getty Images les fidèles peuvent recevoir la communion et partager en nombre croissant, ce moment essentiel dans la pratique catholique.

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