De la transparence du financement des partis politiques
Regard sur les recommandations du Greco et leur (non)-mise en oeuvre au Luxembourg
On nous avait bien averti : Les problèmes avaient été signalés et reconnus depuis un certain temps. On peut donc regretter que dans la causa E. la presse ne se soit pas saisi du problème dès l’apparition de ce thriller politico-juridique.
Cet «on» est en l’occurrence le Greco1, organe de lutte contre la corruption et, en particulier, du suivi de l’observation par les Etats membres du Conseil de l’Europe des règles pertinentes inscrites dans les instruments dudit Conseil, à savoir les conventions élaborées au sein de cet organisme et les recommandations du Comité des ministres des Etats membres (parmi lesquels certain à haut taux de contamination corruptive).
A ce sujet, le Comité a émis en 2003 des règles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales, situation particulièrement propice à une corruption cachée et larvée qui gangrènent, à travers des systèmes pseudo-démocratiques d’élections libres les plus hautes sphères des Etats concernés. La recommandation a chargé le Greco du suivi de cette recommandation. En conséquence de cela, le thème de la transparence des partis politiques a fait l’objet d’un cycle d’évaluation portant précisément sur «La transparence du financement des partis politiques», évaluation qui, pour le
Luxembourg a fait l’objet de plusieurs rapports, dont le premier a été émis en 2008 suite a une visite d’évaluation par les examinateurs-experts du Greco.
Le critère de la forme juridique
Ces experts ont constaté sur place, et leur rapport a été entériné au rapport de Greco examiné et accepté en assemblée plénière que «… les partis politiques représentés au Parlement luxembourgeois n’ont pas voulu octroyer de forme juridique spécifique» et que « les partis sont en général des associations de fait, dépourvues de personnalité juridique ... Toutefois …, en pratique les partis politiques recourent à des associations sans but lucratif, constituées et enregistrées, pour employer du personnel ou acquérir/gérer leurs locaux. Des asbl sont également utilisées à d’autres fins, comme par exemple pour regrouper des élus locaux et les former à la vie politique par exemple ».
Comme cette situation pouvait poser problème au niveau du financement des partis par une absence de transparence et de celui de l’application de sanctions, le Greco avait recommandé au Luxembourg d’ «introduire un statut pour les partis politiques qui soit reconnu par la société Luxembourgeoise et qui les dote de la pleine capacité juridique ».
N’oublions pas le rôle essentiel que jouent les partis politiques en tant que pilier de notre système démocratique, caractérisé dans notre système constitutionnel par celui de la démocratie représentative et que l’article 32bis de notre Constitution (révision par la loi du 31 mars 2008) les érige en «staatstragend » dans la formulation suivante: «Les partis politiques concourent à la formation de la volonté populaire et à l’expression du suffrage universel. Ils expriment le pluralisme politique.» En dépit de ce rôle essentiel: pas de personnalité juridique, c'est-àdire ayant la capacité juridique d’être sujet de droits et d’obligations, comme une amicale de joueurs de quilles, composée de simples individus.
Des solutions de montage
Qu’avons nous fait de cette recommandation particulière ? Rien, ou plutôt nous avons réfléchi sur la question. Lorsque le Greco a été amené à examiner si le Luxembourg avait mis cette recommandation en oeuvre, il, ayant à l’esprit le caractère peu favorable des solutions de montages (créations d’asbl), a été constaté que « malgré les préoccupations ci-dessus, pour l’heure il n’a pas été donné ni même envisagé de suite concrète à la mise en oeuvre de la présente recommandation». Constat identique en 2012: « Le Greco constate l’absence de nouveaux développements sur cette question.»
Et le Greco n’avait pas tort. Avait-il prévu ce que devait révéler la causa E. en rapport avec le litige qui oppose E. au «Frëndeskrees», donc une espèce d’amicale d’un parti politique. Sans vouloir me méler de la politique des partis soit au pouvoir soit dans l’opposition, mais en tant que citoyen et électeur on constate que l’amicale et le parti politique auquel elle est liée sont en réalité la même chose et se confondent (au moins d’après ce que l’on sait, la liste des membres de l’amicale n’étant pas révélée tout comme on ignore le fameux contrat «de travail» conclu entre le président du parti en question et les responsables de l’amicale).
Ceci n’est pas sans poser une autre question au niveau du droit du travail, dans l’hypothèse où le président du parti était le salarié de l’amicale. On aurait donc un président de parti, soumis aux ordres de son employeur qui, lorsque son salarié n’exécute pas ses obligations pourrait être licencié. Les choses sont donc relativement «embrouillées» juridiquement. La question politique est encore une autre chose.
Le dindon de la farce
Au pénal, comme dans d’autres affaires récentes : affaire à suivre. Pour l’instant le public ignore le contenu du contrat que les responsables du parti ne nous ont pas fournis, tout comme on ignore le contenu de cet avis juridique qui «aurait forcé» les députés, membres de ce parti (et de l'amicale) et qu'ils nous présentent pour ainsi dire comme la Bible. Qui en est l’auteur, que le paie, autant de doute sur une éventuelle impartialité de son auteur. Que dire si les enseignements de cette «Bible» ne devaient pas être partagées par les autorités judiciaires, parquet et juridiction de jugement? Qui serait « le dindon de la farce ». Du point de vue de la procédure, l’amalgame entre députés qui viennent de découvrir les mérites de l’obligation de dénonciation inscrite dans la loi et autres membres du parti qui ont dénoncé les faits peut poser problème. La différence entre une dénonciation et une plainte (qui émane de la victime, donc en l’espèce l’amicale) est importante: En cas de classement de l’affaire par le parquet, seule la victime peut exercer un recours devant le Procureur général respectivement se constituer partie civile devant le juge d’instruction. Voilà pour le volet pénal dont l’issue est incertaine. Le volet politique est en voie de règlement. E. a démissionné et se trouve en conséquence écarté.
Resterait à tirer une leçon pour tous nos partis politiques.
L'auteur est procureur d'Etat e.r.
Le Greco est le Groupe d’États membres du Conseil de l’Europe contre la corruption
Le Greco avait recommandé au Luxembourg d’introduire un statut pour les partis politiques.