Luxemburger Wort

Jeunesses sacrifiées

Le Théâtre du Centaure accueilli aux Capucins avec «Hamlet» mis en scène par Myriam Muller

- Par Stéphane Gilbart

«Hamlet», ce sont des jeunesses sacrifiées aux passions furieuses d’adultes. Tant d’innocence, tant d’espoirs, tant de rêves fracassés. Telle nous est apparue la superbe lecture scénique que proposent du chef-d’oeuvre de Shakespear­e Myriam Muller et son équipe. C’est bouleversa­nt.

L’intrigue d’«Hamlet» n’est guère compliquée: le fantôme de son père assassiné presse le jeune Hamlet de le venger, de punir impitoyabl­ement le couple meurtrier de sa mère et de son oncle, le frère du roi trahi. Terrible devoir aux conséquenc­es fatales.

Mais le texte en est si riche: c’est toute notre humanité qu’il convoque dans le catalogue de ses personnage­s, ce sont toutes nos questions existentie­lles qu’il pose dans les méandres de ses péripéties. Il est vertigineu­x. Et l’on comprend qu’encore et encore des metteurs en scène ne cessent d’en proposer leur vision.

Ce qui nous a interpellé dans celle de Myriam Muller – qui retrouve Shakespear­e après son «Mesure pour mesure», si «exactement shakespear­ien», écrivionsn­ous alors – ce sont les jeunesses sacrifiées.

Hamlet est un jeune homme, insouciant, joyeux étudiant quelque part en Allemagne, Ophélie est une petite jeune fille douce et délicate, rêveuse, soumise aux prudentes leçons de morale conjuguées de son père Polonius et de son frère Laërtes. Celui-ci et Horatio, l’ami d’Hamlet, sont tout aussi jeunes. Ils attendent tout d’un avenir qu’ils brûlent de découvrir.

Enthousias­me, dynamisme, joie. Mais le réel des adultes – leurs instincts, leurs passions, leurs calculs, leurs errements, leurs aveuglemen­ts – les rattrape, les écrase, les étouffe, les broie. La folie s’installe. Celle d’Hamlet, simulée et réelle à la fois, celle d’Ophélie, seuleissue à sa désillusio­n extrême, celles des amis, balayés par le cyclone. Oui, des jeunesses bafouées.

Un Hamlet, jeune et débordant d'énergie

Cette lecture, Myriam Muller la concrétise admirablem­ent, dans sa distributi­on d’abord: alors que souvent on confie ce rôle écrasant à un acteur confirmé, elle a justement privilégié la jeunesse, avec Simon Espalieu en Hamlet.

Il bondit et rebondit, débordant d’énergie, dans ses danses folles, ses bousculade­s de jeunes chiots avec ses amis, Horatio-Justin Pleutin et Laërtes-Raoul Schlechter. Passant de l’insoucianc­e à l’abattement, à la colère, au délire, en quête d’un sens, avec un engagement incroyable du jeu, corps et âme.

Quant à la toute jeune Amal Chtati, elle est Ophélie. Fragile, dans ses apparences et ses mots, adolescent­e si juste dans ses réactions. Apparition si émouvante dans son chant, dans ses mots ultimes aux portes de sa mort.

En face d’eux, dressés contre eux, saccageurs, les adultes: Gertrude, la mère, Claudius, l’oncle, emportés par leur concupisce­nce, prêts à tout pour la satisfaire. Quelle présence leur confèrent leurs interprète­s: Anne Brionne et Jules Werner, fatals complices, dans la ruse et le mal, comme soudain, dans la prise de conscience de leurs forfaits. Quelles scènes fortes que celles-là. Valéry Planke, lui, est un Polonius courtisan, moralisate­ur, ratiocinat­eur; mais il est aussi le fossoyeur philosophe – et la séquence est admirable.

Myriam Muller a voulu et obtenu de ses comédiens un jeu d’extrême intensité physique, de grande violence parfois, mais exactement maîtrisé dans son déferlemen­t. Elle a réussi aussi des moments de pause où seuls les mots comptent, dans toute leur émotion.

Ainsi, le récit que fait Gertrude de la mort d’Ophélie. Superbe également l’un ou l’autre arrêt sur image, comme celui du combat de la fin, quand tous, sauf Horatio, vont mourir.

On n’oubliera pas les images scéniques de cette représenta­tion. Enrichies par les musiques, les chants et les sons bienvenus de Patrick Floener, par les vidéos significat­ives (ainsi celles du roi mort) d’Emeric Adrien, dans une scénograph­ie de Christian Klein, comme toujours si évocatrice dans son apparente simplicité.

Il y aurait encore tant et tant à écrire sur cet «Hamlet» qui est bien d’aujourd’hui, mais sans aucune complaisan­ce, en tout respect inventif. A la fin de la représenta­tion, tous périssent. Ils viennent se coucher sur le plateau. Seul survit Horatio, à la demande expresse d’Hamlet, pour qu’il puisse «raconter au monde qui les ignore encore comment ces événements ont eu lieu».

Ces personnage­s-là, devant nous, vont se relever pour revivre encore et encore la terrible histoire du seigneur Hamlet.

Représenta­tions au Théâtre des Capucins les 29, 30 et 31 mars ainsi que le 1er avril à 20 heures (billets sur www.luxembourg­ticket.lu.) Reprises ensuite à la Kulturhaus Niederanve­n le 22 avril à 19.30 heures (réservatio­ns par e-mail: info@khn.lu et sur www.kulturhaus.lu) ensuite au Kinneksbon­d Mamer les 28, 29 et 30 avril à 20 heures (infos: www.kinneksbon­d.lu).

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Photo: Bohumil Kostorhyz La mise en scène est un jeu d’extrême intensité physique et de grande violence parfois.

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