Jeunesses sacrifiées
Le Théâtre du Centaure accueilli aux Capucins avec «Hamlet» mis en scène par Myriam Muller
«Hamlet», ce sont des jeunesses sacrifiées aux passions furieuses d’adultes. Tant d’innocence, tant d’espoirs, tant de rêves fracassés. Telle nous est apparue la superbe lecture scénique que proposent du chef-d’oeuvre de Shakespeare Myriam Muller et son équipe. C’est bouleversant.
L’intrigue d’«Hamlet» n’est guère compliquée: le fantôme de son père assassiné presse le jeune Hamlet de le venger, de punir impitoyablement le couple meurtrier de sa mère et de son oncle, le frère du roi trahi. Terrible devoir aux conséquences fatales.
Mais le texte en est si riche: c’est toute notre humanité qu’il convoque dans le catalogue de ses personnages, ce sont toutes nos questions existentielles qu’il pose dans les méandres de ses péripéties. Il est vertigineux. Et l’on comprend qu’encore et encore des metteurs en scène ne cessent d’en proposer leur vision.
Ce qui nous a interpellé dans celle de Myriam Muller – qui retrouve Shakespeare après son «Mesure pour mesure», si «exactement shakespearien», écrivionsnous alors – ce sont les jeunesses sacrifiées.
Hamlet est un jeune homme, insouciant, joyeux étudiant quelque part en Allemagne, Ophélie est une petite jeune fille douce et délicate, rêveuse, soumise aux prudentes leçons de morale conjuguées de son père Polonius et de son frère Laërtes. Celui-ci et Horatio, l’ami d’Hamlet, sont tout aussi jeunes. Ils attendent tout d’un avenir qu’ils brûlent de découvrir.
Enthousiasme, dynamisme, joie. Mais le réel des adultes – leurs instincts, leurs passions, leurs calculs, leurs errements, leurs aveuglements – les rattrape, les écrase, les étouffe, les broie. La folie s’installe. Celle d’Hamlet, simulée et réelle à la fois, celle d’Ophélie, seuleissue à sa désillusion extrême, celles des amis, balayés par le cyclone. Oui, des jeunesses bafouées.
Un Hamlet, jeune et débordant d'énergie
Cette lecture, Myriam Muller la concrétise admirablement, dans sa distribution d’abord: alors que souvent on confie ce rôle écrasant à un acteur confirmé, elle a justement privilégié la jeunesse, avec Simon Espalieu en Hamlet.
Il bondit et rebondit, débordant d’énergie, dans ses danses folles, ses bousculades de jeunes chiots avec ses amis, Horatio-Justin Pleutin et Laërtes-Raoul Schlechter. Passant de l’insouciance à l’abattement, à la colère, au délire, en quête d’un sens, avec un engagement incroyable du jeu, corps et âme.
Quant à la toute jeune Amal Chtati, elle est Ophélie. Fragile, dans ses apparences et ses mots, adolescente si juste dans ses réactions. Apparition si émouvante dans son chant, dans ses mots ultimes aux portes de sa mort.
En face d’eux, dressés contre eux, saccageurs, les adultes: Gertrude, la mère, Claudius, l’oncle, emportés par leur concupiscence, prêts à tout pour la satisfaire. Quelle présence leur confèrent leurs interprètes: Anne Brionne et Jules Werner, fatals complices, dans la ruse et le mal, comme soudain, dans la prise de conscience de leurs forfaits. Quelles scènes fortes que celles-là. Valéry Planke, lui, est un Polonius courtisan, moralisateur, ratiocinateur; mais il est aussi le fossoyeur philosophe – et la séquence est admirable.
Myriam Muller a voulu et obtenu de ses comédiens un jeu d’extrême intensité physique, de grande violence parfois, mais exactement maîtrisé dans son déferlement. Elle a réussi aussi des moments de pause où seuls les mots comptent, dans toute leur émotion.
Ainsi, le récit que fait Gertrude de la mort d’Ophélie. Superbe également l’un ou l’autre arrêt sur image, comme celui du combat de la fin, quand tous, sauf Horatio, vont mourir.
On n’oubliera pas les images scéniques de cette représentation. Enrichies par les musiques, les chants et les sons bienvenus de Patrick Floener, par les vidéos significatives (ainsi celles du roi mort) d’Emeric Adrien, dans une scénographie de Christian Klein, comme toujours si évocatrice dans son apparente simplicité.
Il y aurait encore tant et tant à écrire sur cet «Hamlet» qui est bien d’aujourd’hui, mais sans aucune complaisance, en tout respect inventif. A la fin de la représentation, tous périssent. Ils viennent se coucher sur le plateau. Seul survit Horatio, à la demande expresse d’Hamlet, pour qu’il puisse «raconter au monde qui les ignore encore comment ces événements ont eu lieu».
Ces personnages-là, devant nous, vont se relever pour revivre encore et encore la terrible histoire du seigneur Hamlet.
Représentations au Théâtre des Capucins les 29, 30 et 31 mars ainsi que le 1er avril à 20 heures (billets sur www.luxembourgticket.lu.) Reprises ensuite à la Kulturhaus Niederanven le 22 avril à 19.30 heures (réservations par e-mail: info@khn.lu et sur www.kulturhaus.lu) ensuite au Kinneksbond Mamer les 28, 29 et 30 avril à 20 heures (infos: www.kinneksbond.lu).