Luxemburger Wort

«Un père peut-il être déçu par son fils?»

L’écrivain Laurent Petitmangi­n présentera son livre «Ce qu’il faut de nuit» à l’Institut Pierre Werner

- Interview: Marc Thill

Sur invitation de l’Institut Pierre Werner Laurent Petitmangi­n sera vendredi prochain à l’abbaye Neumünster pour présenter son roman «Ce qu’il faut de nuit», la révélation littéraire de la rentrée 2020 en France. C’est une histoire de famille qui plonge le lecteur dans le coeur d’un père et de ses deux enfants. Ce livre raconte la violence que c’est pour un père de ne plus reconnaîtr­e son fils tout en dressant un portrait sensible de la Lorraine et de sa région frontalièr­e.

Laurent Petitmangi­n, dans l’histoire que vous racontez vous faites un lien vers le Luxembourg. Pourquoi?

Il y a quelques années j’avais amené mes deux fils aînés pour un stage de foot du FC Metz au Luxembourg, un stage d’une semaine qui se passait sur des terrains à la fois en France et au Luxembourg. Alors en écrivant le roman, j’ai pensé mettre l’action sur cette région. J’avais un bon souvenir du Luxembourg. Je suis originaire de Metz, mais je trouvais que c’était plus intéressan­t de mettre le roman non pas à Metz mais plus au nord de la Lorraine dans cette région frontalièr­e.

Pourtant votre roman n’est pas autobiogra­phique...

Cette partie que je viens d’évoquer a effectivem­ent une origine réelle, le reste non, c’est de la pure fiction. Mais le choix de la région est né de cette semaine de foot passée au Luxembourg.

Votre histoire se situe en Lorraine, vous venez de le dire. Quel regard portez-vous sur cette partie de la France dont on dit que c’est une région difficile?

Il était important que mon histoire se déroule en Lorraine, car j’ai un très grand attachemen­t à cette région qui est en permanence en cycle. Elle a beaucoup d’espoir, malheureus­ement ces espoirs souvent sont déçus et elle doit tout recommence­r. Cela m’intéressai­t d’avoir une région en contraste ce qui donne une tonalité intéressan­te pour mes personnage­s qui eux-mêmes sont en contraste. C’est une région que j’estime très accueillan­te, mais qui parfois se replie sur elle-même. Là encore, il y a plusieurs facettes, et finalement c’est une région intéressan­te à vivre, car il s’y passe plein de choses.

La famille que vous décrivez dans votre roman, le père, ses deux fils, la maman qui est décédée d’un cancer, est-elle à l’image de la région? Est-ce une métaphore pour cette région?

C’est une famille qui est traversée par des contradict­ions. Il y a cette contradict­ion du petit frère qui réussit et qui, justement pour réussir, est obligé de quitter la région. Et puis il y a cette très grande contradict­ion entre le père et son fils aîné. Les personnage­s ont bâti des contradict­ions entre vouloir faire les choses bien et puis ne pas les faire comme on devait les faire. C’est intéressan­t d’avoir des personnage­s qui soient contradict­oires dans leurs actions, dans leurs pensées. En même temps je ne voulais pas qu’on puisse les cataloguer: celuici est un salaud, celui-là un bon. J’ai voulu laisser au lecteur faire sa propre opinion sur ces personnes et j’ai voulu les rendre tous sympathiqu­es d’une façon ou d’une autre.

Dans votre histoire s’affrontent des mouvements politiques extrémiste­s, aussi bien à droite qu’à gauche. Vous évoquez donc aussi la violence sans trop en juger, vous préférez plutôt dresser le portrait des trois hommes?

Ce livre n’est pas un essai politique ni social. L’aspect politique n’est que accessoire. Pour moi, le sujet principal c’est la question «Un père peut-il être déçu par ses enfants?» C’est cela le point de départ de ce roman. Cette déception peut se manifester de manières différente­s. Dans mon roman c’est lié à l’engagement politique dans les mouvements de l’extrême droite, mais on peut imaginer que cette déception aurait pu venir d’autre chose, par exemple d’un enfant qui tombe dans la drogue. Dans des lycées où je fais des lectures on me demande parfois si des enfants peuvent être déçus par leurs parents. Mais, je n’ai pas traité cette question là.

Votre narrateur, le père des deux enfants, se pose la question pourquoi la vie peut-elle basculer d’un point vers un autre. Il fait le constat qu’il suffit parfois d’un petit événement pour que cela se passe comme ceci ou bien comme celà. Peut-on imaginer que cette réflexion a été aussi un point de départ pour votre roman?

Oui, absolument. Parfois la vie bascule dans un sens soit très positif, soit au contraire très négatif. C’est cela que je voulais montrer. Chacun porte en soi une responsabi­lité, il est responsabl­e de ses actes, mais il y a aussi des actes extérieurs qui s’imposent à chacun. La maladie par exemple est un événement dont on est pas responsabl­e. Elle va s’abattre sur celui-ci et pas sur un autre. Ce sont des choses très intrigante­s et qui me fascinent. Je pense que tous mes textes traitent de cela, de ces moments qui comptent dans une vie, et comment parfois à une chose près ça aurait pu être tout à fait différent.

La fin de votre roman est bouleversa­nte. Comment peut-on trouver dans une vie qui tourne mal – «une vie de merde», comme vous l’écrivez – malgré tout un bilan positif?

Je pense qu’on peut avoir deux lectures de la fin. On peut se dire que le fils écrit cette lettre à son père pour le rassurer, pour lui dire, tu n’y es pour rien. Même s’il a eu une vie terrible, le fils ne veut pas donner des remords à son père. Et puis il y a une vue plus positive. Le fils considère qu’il a vécu quand même des choses belles, notamment avec son père, puis avec son petit frère, et que finalement, au moment d’écrire cette lettre, il dresse un bilan globalemen­t positif. Donc

La Lorraine a beaucoup d'espoir, malheureus­ement ces espoirs souvent sont déçus.

Je suis fasciné par ces moments qui comptent dans une vie.

J’avais beaucoup d'émotions en écrivant les dernières lignes de ce livre.

vous pouvez avoir les deux lectures. Et pour être honnête, je n’en sais rien. Cette lettre, je l’ai écrite en quelques minutes seulement et je ne l’ai pas relue, à la différence du reste du livre. J’avais beaucoup d’émotions en écrivant ces dernières lignes et je me suis dis, qu’il ne faut pas y toucher. Donc je ne sais pas, si Fus, le fils aîné, voulait simplement rassurer son père ou s’il pense vraiment à ce qu’il a écrit dans sa lettre à son père.

Une dernière question sur le titre de votre roman «Ce qu’il faut de nuit». Faut-il de la nuit à une vie pour qu’elle accède au bonheur, comme le titre le suggère, ou au contraire, faut-il justement à tout prix éviter la nuit?

Là aussi je pense qu’il y a deux lectures possibles. On peut se dire qu’il faut la nuit pour que le jour soit plus beau, plus puissant, tout comme dans des tableaux en clair-obscur. Il faut l’obscure pour que le clair apparaisse aux yeux du spectateur. Et puis, on peut le voir de façon plus philosophi­que et se dire qu’on a besoin de cheminer longtemps, la nuit serait le temps de cheminemen­t, pour finalement se rendre compte de certaines choses. Par exemple, le père a besoin de cheminer assez longtemps pour se rendre compte que finalement il aime son fils profondéme­nt. Et le fils a peut- être besoin d’un cheminemen­t à travers son adhérence politique pour se rendre compte qu’il a fait quandmême une énorme connerie.

Sur invitation de l’Institut Pierre Werner, Laurent Petitmangi­n sera ce vendredi 9 avril à 19 heures à l’Abbaye Neumünster pour discuter de son roman avec Marie-Madeleine Rigopoulos, la commissair­e générale du «Livre sur la Place» à Nancy. Entrée libre, mais inscriptio­n demandée par email billetteri­e@neimenster.lu ou par téléphone 26 20 52 444. «Ce qu’il faut de nuit» est paru aux éditions La Manufactur­e des Livres et a déjà rencontré un fort succès ce qui a valu à ce roman l’attributio­n de plusieurs prix: Le Prix Fémina des Lycéens, Le Grand Prix du Premier Roman, le prix Stanislas 2020, le prix Feuille d’or des Medias 2020, le Prix du Barreau de Marseille ainsi que le prix Georges Brassens 2020. Le roman est en cours de traduction dans de nombreux pays (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Angleterre, Japon, Corée, Espagne, Etats-Unis, Portugal…), c’est une véritable révélation littéraire.

 ?? Photo: AFP ?? Laurent Petitmangi­n est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il passe ses vingt premières années à Metz, puis quitte sa ville natale pour poursuivre des études supérieure­s à Lyon. Il rentre chez Air France, société pour laquelle il travaille toujours. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. «Ce qu’il faut de nuit» est son premier roman.
Photo: AFP Laurent Petitmangi­n est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il passe ses vingt premières années à Metz, puis quitte sa ville natale pour poursuivre des études supérieure­s à Lyon. Il rentre chez Air France, société pour laquelle il travaille toujours. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. «Ce qu’il faut de nuit» est son premier roman.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg