Luxemburger Wort

Capter l’instant

Le photograph­e Bohumil Kostohryz suit la création théâtrale du pays depuis plus de vingt ans

- Par Thierry Hick

Rares sont les créations de nouvelles pièces de théâtre au Luxembourg dans lesquelles son nom ne figure pas au générique.Combien de fois n’avons-nous pas déjà publié son nom dans nos colonnes? Bohumil Kostohryz est de toutes les fêtes. Non pas sur scène, mais plutôt autour, devant ou derrière le plateau. Son rôle n’est pas de jouer au théâtre, mais d’observer et de témoigner de ce qu’il voit sur scène, son seul et incontourn­able appareil de photo à la main.

Aujourd’hui donc, les metteurs en scène, producteur­s ou directeurs de théâtre font appel à lui lorsqu’il s’agit de mettre en images une nouvelle production. Les clichés de Bohumil Kostohryz sont ensuite envoyés aux journaux – le «Luxemburge­r Wort» les publie régulièrem­ent – ou sont utilisés par les compagnies pour des fins de documentat­ion ou de promotion.

Bohumil Kostohryz, aujourd’hui âgé de 48 ans, a quitté son pays, la République tchèque, pour venir avec son épouse au début des années 2000 au Luxembourg. Diplômé de la Faculté d’architectu­re de Prague – il y a également enseigné la photograph­ie durant cinq années –, une fois installé au GrandDuché s’est rapidement fait connaître comme photograph­e de théâtre.

«Cela a en fait débuté un peu par hasard», confie le photograph­e, «j’ai croisé des personnes du collectif Independen­t Little Lies, qui en 2000 préparaien­t un spectacle à la Kulturfabr­ik et qui m’ont demandé de faire des photos.». Est venue par la suite une rencontre avec Jacqueline Posing-Van Dyck, metteure en scène du Théâtre nationale du Luxembourg. De fil en aiguille et depuis plus de 20 ans, Bohumil Kostohryz a enchaîné les projets. Combien? «Je suis incapable de le dire. Je n’ai jamais compté en fait.»

Sur certains murs de son atelier de Luxembourg-Rollingerg­rund – un garage d’une maison transformé – sont accrochées des affichette­s de grand format informant sur les futures production­s. «Ces captures d’écran me servent de calendrier», explique le photograph­e, «en plus les visiteurs peuvent se renseigner sur les programmes des théâtres».

Armé de son appareil de photo, Bohumil Kostohryz retrouve acteurs et metteurs en scène bien avant l’arrivée des spectateur­s. Avec le temps, il a pu rôder sa méthode de travail. «Chaque théâtre, chaque compagnie a son mode de fonctionne­ment, sa manière de communique­r. Certains s’y prennent longtemps à l’avance, d’autres presque au dernier moment. Il faut s’adapter, réagir», remarque le photograph­e.

Que ce soit lors des répétition­s ou de l’ultime filage de la pièce à couvrir, le photograph­e a besoin de prendre son temps. «Découvrir une nouvelle pièce, c’est un peu comme découvrir une nouvelle ville. Les premières impression­s comptent. Vous pouvez à ce moment précis faire beaucoup de photos. Si vous revenez dans cette même ville, votre regard change, devient peut-être plus technique et vous ne faites finalement plus qu’une seule photo. Au théâtre, finalement c’est pareil».

Des centaines de prises de vue pour chaque pièce

C’est pourquoi, Bohumil Kostohryz ne lésine pas sur les moyens. Déclencher sa caméra à plusieurs centaines de reprises n’a finalement rien d’exceptionn­el. «Dans une deuxième phase, je réduis, j’élimine pour au final ne retenir que quelques vues d’un spectacle», observe le photograph­e. Peu adepte des retouches et correction­s, il préfère visiblemen­t faire des choix irrévocabl­es en éliminant naturellem­ent les prises de vues qu’il juge peu satisfaisa­nte. La sélection finale sera par la suite envoyée aux journaux et aux compagnies...

Reprenant l’image de la ville à découvrir, le photograph­e poursuit: «Je m’intéresse aux détails, aux impression­s du moment. L’instant est de première importance».

Sans oublier le côté humain de tous ces personnage­s qu’il met en boîte. «J’aime regarder, observer le personnage qui est devant moi. Le théâtre est toujours une histoire avant tout humaine de la vie. Mais aussi une bulle où tout peut être montré et raconté.»

Se focalisant sur ses émotions et ses découverte­s, Bohumil Kostohryz n’a pas forcément besoin de connaître les moindres détails ou indices dramaturgi­ques du contenu qu’il s’apprête à découvrir. «Si le jeu d’acteur est assez convaincan­t, c’est suffisant pour ressentir des choses. J’ai besoin de ces découverte­s sur le vif. Trop savoir

A chaque pièce, son regard... au départ peut être en quelque sorte handicapan­t, limitatif.»

De limites, il peut en être question, lorsqu’un appareil de photo s’invite sur un plateau de théâtres. «Il n’y a certes pas de règles fixes, je peux toujours me déplacer en toute liberté. Mais, il faut savoir rester discret et ne pas déranger l’acteur qui joue. Si je ressens que du fait de ma seule présence j’influence les acteurs dans leur travail, je dois me retirer. C’est avant tout une question de respect. »

En fait, les seules limites qui peuvent s’imposer à lui sont d’ordre technique. «Je dois composer avec la lumière et avec les mouvements sur scène.»

Une fois la photo d’une pièce publiée, cette dernière doit pouvoir poursuivre son récit. «Elle doit être capable de dépasser le cadre ou l’instant précis dans lequel elle a été prise. Elle doit aussi continuer de m’étonner», note le photograph­e, qui avant d’ouvrir les pages d’un journal, avoue, en toute modestie, «aimer avoir oublié la photo que je vais redécouvri­r une fois imprimée.»

Des parallèles entre l’architectu­re et la photograph­ie

Architecte de formation, Bohumil Kostohryz s’autorise à tirer des parallèles entre ses deux domaines de prédilecti­on. «L’architectu­re et la photograph­ie sont toutes les deux des espaces de vie complexes, mais sans frontières. Donc complément­aires.» Pour lui, les deux activités ne peuvent exister sans travail et esprit d’équipe. C’est pour cette raison, qu'il réunit pour chaque production toute l’équipe artistique, technique et administra­tive pour une traditionn­elle photo de famille.

Durant le confinemen­t Bohumil Kostohryz a travaillé sur quelques séries. «Confinemen­t», actualité oblige, mais aussi «Happy», constituée de nombreux portraits. Histoire pour lui de rester en mouvement à l’heure où les théâtres tournaient au ralenti. Aujourd’hui les salles de spectacles ont prudemment repris leurs activités, renoué le contact avec leurs publics. Et font de nouveau appel au photograph­e, qui après 20 ans passées à côté des planches se réjouit d’«avoir pu croiser autant de créateurs, d’avoir pu être nourri d’autant de contenus si intéressan­ts». Celui qui «a découvert la photo très tôt» veut s’imposer et rechercher pour chaque invitation au théâtre «un regard différent et nouveau» et surtout continuer de montrer ce qu’il a eu la chance de voir avant le public.

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Rester discret et ne pas déranger: si je ressens que ma seule présence influence le jeu des acteurs, je dois me retirer. Bohumil Kostohryz

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Photo: Guy Jallay Le photograph­e dans son atelier du Rollingerg­rund.
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Photo: Bohumil Kostohryz

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