Valeurs sûres
Nikolaj Szeps-Znaider et Saleem Ashkar ont rencontré l'OPL
Ils sont nombreux, à l'intérieur et à l'extérieur de la Philharmonie, à voir cet imposant paquebot musical regagner des eaux plus profondes, susceptibles de le lester bien au-delà des maigres quinze pourcents de ses capacités auxquels il se trouve contraint pour l'instant, de crainte de toucher le fond. Ce contingentement n'a pourtant pas incité les lieutenants du vaisseau à sonder des courants concertants moins familiers que ceux qu'offre le grand romantisme allemand, Schumann et Brahms en l'occurrence.
On aurait toutefois tort de bouder ces valeurs sûres, tant il est vrai que dès les premiers accords assénés ouvrant le fameux Concerto pour piano de Schumann, la certitude se rappela à notre souvenir que l'expérience du direct n'a que faire des attentes individuelles et qu'elle nous oblige le plus souvent à accorder nos réflexes d'écoute aux circonstances inédites du moment. Exit ainsi le confort de la familiarité fusionnelle pour la réflexion analytique.
Il est vrai que la proximité à moins de dix mètres en contrebas de l'instrument soliste contribua à accentuer cette image théâtrale laissée par le jeu énergiquement articulé de Saleem Ashkar, qui ne fit que rarement oublier à quel point le piano est un instrument à percussion. Cette éloquence proéminente, assez heurtée par endroits, installa le piano dans l'affirmation, dans l'opulence souveraine plutôt que dans les variations de rapport au tissu orchestral.
Malgré un tempo assez sage, une cadence qui ne céda rien à la bravoure gratuite, les brusques changements de paysage entre épisodes en suspens et effusions instantanées, les doigts d'acier de Saleem Ashkar taillèrent dans le vif une fresque certes passionnée mais pleinement unifiée, cohérente, globale.
Un chef ravi
Avant de donner le coup d'envoi de la gigantesque Deuxième Symphonie de Brahms, Nikolaj SzepsZnaider le nouveau directeur musical de l'Orchestre national de Lyon, ne put s'empêcher de confesser le ravissement de se retrouver aux commandes de la grande formation orchestrale devant un plateau d'auditeurs fussent-ils clairsemés... Preuve qu'il est des pays où la conscience de la puissance maléfique de la musique dépasse la nôtre en acuité!
Nous ne dirons pas que le considérable „Allegro non troppo“introductif nous ait de prime abord aimanté sans réserve: trop de minceur sonore pour passer sous l'allègre portique d'entrée, assez peu de matière minérale pour figurer la carrure rassurante du compositeur, un souci permanent en
Un chef près de ses troupes. somme de ne pas s'exposer à la tentation emphatique.
Cette longue première étape faisait délibérément fi du tourisme grand luxe et du confort à tous les étages; en un mot: on ne chercha nullement à faire entendre la barbe de Brahms.
Et pourtant, ces nouveaux paramètres une fois intériorisés, le voyage se mua en aventure. Nikolaj Znaider se voulut près de ses troupes (qu'il ne fit du reste pas semblant de ménager), sans l'intimidante barrière du pupitre et de la partition, lisez sans l'énigmatique symbolique de l'autorité et de l'omniscience. N'imaginez pas pour autant que le destin symphonique ne traduisit que l'instant ou que l'idée musicale ne découla que de l'instinct!
Ce désencombrement laissa les mains libres pour survoler les barres de mesure, pour sculpter le galbe mouvant de la discipline collective tout comme pour partager son enthousiasme, au-delà des phalanges de l'OPL, avec un auditoire galvanisé et... bruyamment reconnaissant de cette estime.