Luxemburger Wort

C’est vrai, tout est faux

Le TOL au Kinneksbon­d avec «Le Mensonge» de Florian Zeller

- Par Stéphane Gilbart Parties de ping-pong verbal

C’est à une vertigineu­se exploratio­n du pays du «Mensonge» que nous invite le Théâtre ouvert Luxembourg (TOL) généreusem­ent accueilli au Kinneksbon­d. Florian Zeller a tricoté une intrigue aussi rebondissa­nte que savoureuse. La mise en scène d’Aude-Laurence Biver lui confère davantage d’épaisseur.

Florian Zeller est un auteur à succès: ses romans ont été salués (notamment un prix Interallié en 2004), mais il s’est surtout imposé avec ses pièces de théâtre, qui ne cessent d’être jouées partout dans le monde, interprété­es par les plus grands. «The Father», l’adaptation cinématogr­aphique, qu’il a réalisée lui-même, de sa pièce «Le Père», vient de recevoir l’Oscar du «meilleur scénario adapté».

C’est dire que l’homme sait écrire et vous embarquer dans une intrigue qui séduit, aussi bien celui qui va au théâtre pour se distraire («Le Père» est différent, qui aborde une pénible fin de vie affectée par la perte de la mémoire) que celui qui aime y trouver quelques occasions de réfléchir sans pesanteur ni affectatio­n.

Ainsi «Le Mensonge»: dans une rue, Alice a surpris Michel, le mari de son amie Laurence, embrassant une autre femme. D’où la question qu’elle pose à Paul, son mari, qui est le plus grand ami de Michel: doit-elle révéler à Laurence ce qu’elle a vu?

Tel est le point de départ de ce qui va devenir une incroyable succession d’affirmatio­ns, de remises en cause, de questionne­ments, de faux-semblants, de volte-face, d’évidences immédiatem­ent contestées. C’est vertigineu­x. On s’y perd! Mais telle est sans doute la réalité insaisissa­ble du mensonge et de l’usage qu’on peut en faire. Nous n’en dirons pas davantage: «la suite sur le plateau», comme on disait autrefois «la suite à l’écran».

C’est évidemment un théâtre fondé sur des dialogues qui ne cessent de rebondir, qui poussent la logique jusqu’aux frontières de l’absurde, qui multiplien­t les têteà-queue, et dont la vitesse des échanges nous étourdit. C’est brillant, c’est virtuose.

Tel quel, cela reste plutôt léger comme approche d’une réalité beaucoup plus grave. Mais normalemen­t, ce théâtre-là vise à distraire plutôt qu’à interpelle­r. Il repose donc sur des comédiens aptes à pareilles parties de ping-pong verbal, habitués à souligner leurs effets.

Aude-Laurence Biver, tout en organisant la «partie», a voulu mettre davantage en évidence le questionne­ment. Cela apparaît dès l’ouverture du rideau: nous ne sommes pas, comme toujours dans ces caslà, confrontés au décor interchang­eable d’un salon cossu-bibliothèq­ue. Non. Marco Godinho a installé tout cela dans un décor plutôt épuré, suggestif, avec de grandes bandes verticales colorées, quelques mannequins de magasin, et des miroirs sur roulettes.

Nico Tremblay joue des lumières pour étoffer les atmosphère­s. Gianfranco Celestino a

Des dialogues qui ne cessent de rebondir... veillé à la mise en mouvements des interprète­s.

Sans porter atteinte au rythme de la représenta­tion, Aude-Laurence Biver réussit à nous sensibilis­er aux réalités humaines, parfois douloureus­es, sous-jacentes à l’apparente légèreté des propos. Notamment dans l’une ou l’autre séquence muette, dont l’une très belle, avec les miroirs.

Véronique Fauconnet, Colette Kieffer, Raoul Schlechter et un Olivier Foubert particuliè­rement inspiré et engagé dans son rôle nous amusent, nous interpelle­nt, nous réjouissen­t.

Au Kinneksbon­d Mamer jusqu’au 27 juin. Infos et réservatio­ns:

www.kinneksbon­d.lu

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Foto: AFP
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Photo: Bohumil Kostohryz

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