Covid-19: un révélateur de nos fragilités et inégalités
Le premier cas d’infection à la Covid-19 détecté au Luxembourg remonte au 29 février 2020. C’est au mois de mars qu’a été décrété l’état de crise qui a conduit à un confinement très strict avec comme corollaire des mesures qui ont été attentatoires à nos libertés.
La position de la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) aura toujours été de comprendre dans quelle mesure il était légitime et nécessaire de restreindre nos libertés individuelles pour répondre à un intérêt général et collectif afin de protéger la santé d’un plus grand nombre. C’est sous cet angle que les nombreux projets de lois auront été analysés pour donner lieu à des avis et des prises de position.
Nous avons appris que nous étions, avec nos collègues de la Finlande, la première institution nationale des droits de l’Homme en Europe à réagir. Cela fut fait par une lettre ouverte que nous avons adressée à notre Premier ministre le 27 mars 2020 et dans laquelle il était question de la solidarité et aussi d’un danger qui allait affecter les personnes qui souffraient déjà de discriminations.
Dans ce courrier nous anticipions qu’il allait se créer un moule solidaire, rassurant et confiant pour tout un chacun, en attendant une sortie de crise qui restait à ce moment incertaine. En effet un vent de panique nous avait envahis, tant les images et les informations qui nous étaient rapportées d’autres pays étaient dramatiques. J’ai toujours pensé que dans cette période de grande fragilité nous devions apprendre, puis réussir à nous « serrer les coudes ». Aujourd’hui, 14 mois après, je constate que cela n’a eu lieu que partiellement.
Nous étions par ailleurs convaincus dans notre commission que ce seraient les personnes déjà discriminées avant la pandémie qui allaient être les plus touchées : Celles qui vivent dans la précarité, qui sont sans couverture médicale ou qui habitent dans des conditions de logement indignes, les personnes isolées, celles qui vivent en institution et donc dans une grande dépendance, les familles monoparentales, les personnes en situation irrégulière ou de handicap, les victimes de violence domestique, les femmes et les enfants ...
A défaut de mourir de l’infection par la Covid-19, d’aucuns ont succombé à la misère psychologique.
Le virus a été un accélerateur des inégalités dans notre pays et a rendu manifeste des limites de notre fonctionnement démocratique.
Le risque du « moi pour moi» et la naissance de l’indifférence
Notre souci a toujours été, et ce jusqu’à ce jour, de porter une attention particulière à ces personnes. Pour éviter la perpétuation, voire le renforcement des inégalités, nous ne nous sommes jamais lassés de rappeler que les droits humains doivent servir dans ces cas de guide aux décideurs politiques.
L’objectif n’est pas ici de retracer et d’analyser tous les événements qui ont eu lieu. Je retiendrai que si la solidarité a surtout joué durant la période de confinement stricte, elle a commencé à se détériorer peu de temps après. Il s’est avéré que la sortie du confinement a été autrement difficile.
Après le caractère drastique des contraintes qui nous étaient imposées, la responsabilité de tout un chacun a commencé à jouer un rôle de plus en plus important. J’ai pensé, et c’était une illusion, que si chacun assumait cette part de responsabilité dans la protection contre le virus Covid-19, la nécessité de prendre des mesures par des lois limitant notre liberté et nos droits fondamentaux aurait été moindre, voire superflue. C’est ce que le virologue allemand Christian Drosten avait bien exprimé en disant que «au plus j’agis de façon inconsciente et égoïste, au plus l’État doit limiter mes libertés pour protéger la communauté et le bien-être des autres personnes pour les protéger de façon efficace».
La santé et le bien-être mental et social
Personnellement, j’ai surtout été interpellé par cette attitude qui a réduit la santé à son aspect physique en oubliant qu’elle comprend aussi une dimension qui se décline avec le bien-être mental et social. Ce fut le cas dans les institutions qui accueillaient des personnes âgées et plus tard nous allions apprendre que la situation était identique dans celles où vivent des personnes handicapées et aussi dans les hôpitaux.
A défaut de mourir de l’infection par la Covid-19, d’aucuns ont succombé à la misère psychologique. L’isolement et le confinement auxquels des personnes ont été forcées de se soumettre, en dehors de tout cadre législatif, auront porté gravement atteinte à leur intégrité psychique.
Priver quelqu’un de ses sens, de ses contacts et des liens qu’il a, c’est le déshumaniser. Ne pas savoir est humain et l’ignorance n’est pas notre ennemi, mais ne pas le reconnaître et tarder à agir crée le lit à l’indifférence et à la banalisation. J’ai eu la chance et l’honneur de faire partie du groupe ad hoc créé par notre Premier ministre Xavier Bettel et auquel participait aussi notre ministre de la Santé, Paulette Lenert. Le but de ce petit groupe était de conseiller le gouvernement sur les mesures à prendre pour juguler la crise sanitaire.
Avec le recul, je fais le constat qu’à part des rencontres et des discussions fort intéressantes, ces échanges n’auront eu aucune influence. Pour preuve, dès le mois d’avril 2020, puis de façon répétitive par la suite, j’avais attiré l’attention sur les drames qui se passaient dans les centres pour personnes âgées. Cela n’a rien changé à cette tragédie silencieuse qui a perduré.
La démocratie offensée et le devoir de mémoire
Le monde politique quant à lui s’est souvent engagé dans des discussions marquées par la confrontation et les débats qui ont eu lieu au parlement entre la majorité et l’opposition n’ont pas contribué à améliorer les textes de loi et les mesures qui étaient proposées par le gouvernement: Ces débats ressemblaient souvent à une bataille rangée. Les nombreuses recommandations de la CCDH, mais aussi du Conseil d’Etat, que j’estime avoir été raisonnables et légitimes au vu des enjeux, n’ont pas été prises en considération, à très peu d’exceptions près: Elles ont subi un classement vertical.
Ceux et celles qui ont pris la peine de lire les avis que la CCDH avait rédigés pour chacun des projets de loi relatifs à la pandémie, ont pu constater que les textes législatifs étaient souvent approximatifs, peu précis, en partie illisibles et contradictoires. Si la précipitation était compréhensible au début de la crise sanitaire, elle aurait néanmoins dû céder la place à une démarche plus posée, surtout compte tenu des enjeux en termes de santé et de sécurité juridique. Tout cela me conduit à penser que la démocratie et le respect des droits humains ont beaucoup souffert durant toute cette période.
Il me faut souligner le rôle qu’ont eu la presse qui se voulait être plus qu’une caisse de résonance du gouvernement et la société civile qui a tenté de compenser le manque de prise en considération des inégalités créées par la pandémie. Elles ne sont pour autant pas devenues des interlocuteurs pour le gouvernement et le parlement.
Les moyens en termes d’engagement, de financement et d’organisation ont été impressionnants mais ne privilégient pas ceux et celles qui ont le plus souffert. Nous nous réjouissons aujourd’hui de la sortie prévisible de cette crise pandémique qui s’est avérée être une période trouble pour le monde entieret aussi pour le Luxembourg. Je garde un arrière-goût amer des observations que j’ai pu faire et je ressens un devoir de mémoire. Restera-t-il encore un espace pour consoler, mais avant tout aider les grands perdants de cette crise? Sauronsnous tirer les leçons qui s’imposent pour remédier aux inégalités existanteset donner une voix aux laissés-pour-compte? Quelle place pour les droits humains qui se conjuguent avec l’amitié, la solidarité, la fraternité et la sororité? Et une question qui ne cesse de me hanter: Dans quel état laisserons-nous notre planète aux générations à venir ?
La tyrannie de la Covid-19 qui maîtrise la mondialisation à la perfection aura été un révélateur planétaire de la fragilité de l’humanité. Il a été un accélerateur des inégalités dans notre pays et a rendu manifeste des limites de notre fonctionnement démocratique.
L'auteur est psychologue et président de la Commission consultative des droits de l’Homme du Grand-Duché de Luxembourg