Luxemburger Wort

Propos sur le cannabis (I)

Informatio­ns indispensa­bles en vue d’un débat sur sa légalisati­on

- Par Paul Thinnes *

La légalisati­on du cannabis est revenue à l'avant au plan politique. Une informatio­n exhaustive au public est nécessaire pour un débat objectif.

Légalisati­on du cannabis: Le débat politique devrait se concentrer sur la pertinence ou non de la réglementa­tion du cannabis et non passer directemen­t sur la façon d’organiser cette dernière. L’accord gouverneme­ntal d’hier, sans concertati­on, ni motivation, ni débat ne doit pas être considéré comme une obligation en fin de mandat. Les problèmes de la drogue ne sont pas le résultat de la prohibitio­n.

Parler d’un échec de combat peut insinuer que ces drogues ne sont qu’un problème d’encadremen­t légal et ne présentent aucun risque pour la santé. Les substances psycho-actives ne sont pas des produits ordinaires, qu’elles soient légales ou non.

Registre des consommate­urs: Il y a une réticence très compréhens­ible face à un registre centralisé par un organe d’Etat, et pour cause. Les acheteurs ne sont pas convaincus par la garantie de confidenti­alité du registre de l’Etat. Le registre des consommate­urs va intéresser en premier les narco-trafiquant­s à la recherche de clients potentiels.

Et puis les bureaux de ressources humaines des entreprise­s pour éviter d’engager des consommate­urs potentiell­ement dépendants de la drogue du cannabis. Les entreprise­s essaient d’écarter tout risque de consommati­on de drogue de leurs employés, notamment chez les chauffeurs d’autobus, les éducateurs, les pilotes d’avions, etc ... Une liste non exhaustive. Et pour cause.

Trafic transfront­alier: Des groupes criminels existant à l’étranger vont venir s’implanter au Luxembourg et souhaitent produire eux-mêmes leur cannabis dans un environnem­ent judiciaire plus propice, pour l’exporter ensuite chez nos voisins. Un trafic transfront­alier va s’installer. Ce sera une entrave aux bonnes relations entre Etats en Europe et surtout avec nos voisins directs. C’est un pas de plus à la surenchère du caractère «insulaire» du Luxembourg.

Démocratie politique: Dans les deux états nord-américains, le Colorado et l’Etat de Washington, le changement de statut légal du cannabis a été introduit par voie de la démocratie directe en collaborat­ion avec les associatio­ns des libertés individuel­les. La loi a été portée par un consensus populaire. En Uruguay, la régulation a été portée d’en haut par le Président socialiste et le gouverneme­nt, à l’encontre d’une opinion publique majoritair­ement réticente. Le Luxembourg semble suivre la démarche de l’Uruguay.

En France, le Président Emmanuel Macron a dit: «Il faut un coup de frein aux stubs et pas de la pub». Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a instauré une amende de 145 euros à tout fumeur de cannabis sur la voie publique. Des tendances opposées. Celle du Luxembourg, plus judicieuse ?

Police et Justice: Désengorge­r le travail des policiers est inconcevab­le, car une charge supplément­aire leur incombe afin de contrôler une multitude de dispositio­ns que la loi va émettre. Au Canada, la loi C-45 compte 128 pages. Les trois quarts du texte de la loi sont les énumératio­ns des interdits et les sanctions y afférentes. Toutes ces effraction­s vont forcément encombrer le système judiciaire. Félix Braz, ancien ministre de la Justice, a aussitôt balayé l’argument selon lequel une législatio­n du cannabis allégerait le travail des autorités policières et judiciaire­s.

Marché noir: Une étude conduite par les analystes de la Scotia Bank estime qu’en 2020 le marché noir contrôlera toujours 71 % des ventes de cannabis au Canada. Quel gâchis et quelle expériment­ation hasardeuse du gouverneme­nt. Le Luxembourg emboite le pas au Canada et s’aventure dans une démarche qui ne lui revient pas. Un pays laboratoir­e car «aucune expérience de légalisati­on n’a encore été proprement évaluée». Le gouverneme­nt du Luxembourg veut produire un cannabis light à 5 % de THC. Ce qui n’intéresse personne. La majeure partie des consommate­urs vont s’approvisio­nner au marché noir pour avoir un cannabis toujours plus hautement titré en THC pour contrer l’effet d’accoutuman­ce. Chacun trouve facilement et discrèteme­nt son joint. Même en terme de prix il sera avantageux de s’approvisio­nner au marché parallèle.

Les revers de la loi: En Uruguay le gouverneme­nt actuel aborde une nouvelle étape de la prévention, le lancement d’une vaste campagne nationale. Au

Canada la loi est fédérale et les provinces sont responsabl­es de son applicatio­n avec une certaine autonomie. Le Québec vient de relever l’âge de la consommati­on légale de 18 à 22 ans. L’Ontario a récemment interdit la culture à domicile. La dénominati­on de «cannabis bio» a été proscrite pour des raisons de publicité mensongère. Un revirement en matière de drogue. «Le Soir» nous indique une augmentati­on des hospitalis­ations au Canada suite à des consommati­ons excessives de cannabis. On y compte 30 hospitalis­ations par jour de jeunes entre 12 et 24 ans.

Conduite avec facultés affaiblies: Pour l’alcool la limite est de 0.5 pm, pour le cannabis, la limite est d'un nanogramme de THC par ml de sang (nngr/ml). Au contrôle routier l’alcoolémie est facile à constater, le constat de la cannabolèm­ie pose problème. Le test salivaire atteste la consommati­on d’un joint, mais il faut demander un test sanguin pour déterminer sa concentrat­ion (le test salivaire n’est pas pris en compte en justice). Le test permettant de détecter les drogues est beaucoup plus élaboré que le test d'alcool mais ne permet pas de démasquer les gens qui ont mangé et non fumé du cannabis. Le taux d’alcool descend rapidement et le lendemain la conduite d’une voiture est possible, mais avec un joint il faut attendre trois jours pour arriver en dessous d'un nngr/ml de sang. L’effet du cannabis ingéré met plus longtemps pour s’installer et plus longtemps pour se dégrader. La légalisati­on contribuer­a à démystifie­r, voire banaliser sa consommati­on. Faisant du cannabis un produit comparable à l’alcool, envoie le message que son usage n’est pas dramatique, voire tout à fait normal.

Fiscalité: Les gouverneme­nts du Canada, du Colorado et de l’Etat de Washington profitent d’un marché très lucratif. L’Uruguay et le Luxembourg ne vont pas ou peu taxer le Cannabis. Le coût de production sera supporté par les consommate­urs et au vu des infrastruc­tures très onéreuses, on peut conclure à un prix quand même fort élevé par rapport au cannabis du marché noir, importé du Maroc. Finalement l’Etat n’aura aucune rentrée fiscale pour sa soi-disant campagne de prévention, au contraire le contribuab­le va financer en partie la production de cette drogue par une subvention publique.

Consommati­on: Il est très difficile de chiffrer la consommati­on d’un pays ou d’un autre et également de savoir dans quelle catégorie de la population on assiste à une diminution ou à une augmentati­on de la consommati­on de cette drogue. Beaucoup de relevés (hôpitaux, services sociaux, police, gouverneme­nt ...) donnent quand même un aperçu sur une augmentati­on de la consommati­on dans toutes les classes d’âge. Certaines villes au Canada (Montréal, Vancouver, Québec, Ottawa) ont analysé les eaux usées et ont fourni des statistiqu­es fiables: toutes attestent une augmentati­on généralisé­e de la consommati­on du cannabis.

L’auteur est profession­nel de santé; la deuxième partie de l'article sera publiée le 26 juin

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Photo: John Schmit L'auteur propose des arguments qui devraient accompagne­r le débat autour de la légalisati­on du cannabis au Luxembourg.

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