Bruxelles «bricole» sa propre neutralité
L’affaire du voile à la Stib traduit la difficulté de maintenir la laïcité exclusive partout en Belgique
En Belgique, les gouvernements régionaux ne sont pas autorisés à tomber. C’est la règle. L’affaire du port du voile à la Stib a pourtant bien failli avoir la peau de l’exécutif bruxellois, une coalition de socialistes, d’écologistes, de libéraux et de libéraux-sociaux. Francophones et flamands, cela de soi.
Vu de l’étranger, ce dossier peut paraître anecdotique. Il est en réalité révélateur des tensions que vit aujourd’hui la société belge, entre islam et laïcité, le tout assaisonné d’une bonne dose de communautarisme.
Le 18 juin dernier, le gouvernement bruxellois a décidé in fine de ne pas aller en appel du jugement qui condamne la société de transports publics Stib pour avoir refusé d’engager une femme au motif qu’elle porte le voile. Les écologistes et les socialistes de la majorité ont refusé d’aller en appel, avec l’intention tacite de laisser à terme s’établir des assouplissements en faveur du port des signes convictionnels dans une entreprise dont le personnel est souvent issu de l’immigration arabomusulmane. Ils se sont heurtés aux libéraux-sociaux du petit parti Défi, lesquels ont menacé de quitter le gouvernement au nom de l’attachement inconditionnel à la laïcité. Finalement, Défi est rentré dans le rang, moyennant un compromis de façade. Et la coalition a survécu.
Une neutralité «sur mesure»
Les défenseurs de la neutralité ne décolèrent pas. «Ce qui en sort?», écrit «Le Soir». «Une neutralité dite exclusive, tricotée 'sur mesure', uniquement pour aboutir au compromis politique susceptible de garder Défi à bord et de sauver dans la foulée l’exécutif bruxellois. La paix (…) repose sur du sable.»
Concrètement, la laïcité exclusive reste la règle à la Stib, mais un régime d’exception pourrait être accordé demain aux employées qui n’appartiennent pas à la hiérarchie ou ne sont pas contact avec le public. A la Ligue des droits humains, on discerne déjà le diable dans les détails: «La définition d’une fonction de contact n’est pas si évidente, est-ce un contact visuel? Une interaction? Une femme qui nettoie, par exemple, peut se retrouver en contact indirect avec un usager.» Assurément boiteux, le compromis trouvé annonce déjà d’autres recours en justice, menaçant de relancer régulièrement le débat sur la laïcité dans les entreprises et les administrations publiques.
Autrement dit, rien n’est arrangé. Le port du voile est autorisé dans une telle administration, ou au contraire interdit dans une autre. A chaque fois qu’un incident éclate, l’objectif de «sécularisation apaisée» que se donnent les modérés recule. Le jeu des partis, voire au sein des partis, jette de l’huile sur le feu. Les écologistes et les socialistes bruxellois ont ainsi tenu tête à leurs présidents «nationaux» respectifs qui tentaient de calmer les esprits. Les Verts et les Rouges de la capitale ont leur propre agenda et une base électorale fatalement liée à la sociologie des lieux: un habitant sur quatre de Bruxelles est de confession musulmane (contre 7 % en moyenne à l’échelon de tout le pays).
Et maintenant? Le gouvernement bruxellois a renvoyé la patate chaude au parlement … bruxellois qui doit ouvrir «un débat sur la question de la neutralité dans les services publics, avec une large dimension participative et citoyenne». De l’exécutif, le bras de fer entre les partis promet de se déplacer vers le législatif. Le but est d’aboutir à une ligne de conduite qui vaudrait pour toutes les instances régionales et pararégionales. Il y a 30 ans que ce dossier est sur la table …