Luxemburger Wort

La continuité contre la confusion

Régionales: le succès des conservate­urs en place éloigne l’hypothèse Macron-Le Pen à la présidenti­elle – une analyse

- Par Gaston Carré

C’était dit, écrit et répété de longue date: l’élection présidenti­elle, l’année prochaine en France, culminerai­t dans un affronteme­nt entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour. Or les résultats des élections régionales et départemen­tales, dimanche dernier, laissent entrevoir que la présidente du Rassemblem­ent national pourrait bien, après tout, ne pas être présente à ce dernier round. Ils laissent entrevoir que Macron aussi, après tout, pourrait en être absent. Car en favorisant les élus déjà en place, l’électorat a conforté la droite conservatr­ice et les socialiste­s.

Dimanche soir, à l’issue du match de foot opposant son pays à la Belgique, une présentatr­ice de la télévision portugaise conçut cette façon originale d’introduire son bulletin d’informatio­ns. «Il y une bonne et il y a une mauvaise nouvelle aujourd’hui. La mauvaise: nous avons perdu. La bonne: Le Pen en France aussi.»

Les jeunes résistent à LREM

Le scrutin régional et départemen­tal était le dernier rendez-vous donné aux électeurs français avant la course à l’Elysée les 10 et 24 avril 2022, dans quelques mois donc. Ils ne furent pas nombreux à donner suite: un taux d’abstention de plus de 65 % atteste que la désaffecti­on des urnes devient un facteur cardinal de la pratique politique et de la conjonctur­e idéologiqu­e en général. Avant d’y revenir, à cette abstention, rappelons les données principale­s qui dimanche se sont dégagées des bulletins de vote.

La République en Marche, le parti d’Emmanuel Macron, a montré une fois encore son incapacité à s’imposer. LREM est lestée d’une image détestable, celle d’une machine électorale à usage ponctuel, originelle­ment conçue pour asseoir Macron à l’Élysée et qui depuis lors peine à se justifier. Macron, dans un opportunis­te mais louable souci de mobiliser les jeunes, s’était ridiculisé en se prêtant, il y a quelques semaines, à un dialogue médiatique avec deux rappeurs, pathétique tentative d’encanaille­ment de la part d’un président qui crut pouvoir séduire les banlieues en adoubant deux simplets à bonnet. Résultat: nul.

Emmanuel Macron n’a pas su convaincre les jeunes, il n’a pas su non plus pêcher dans le réservoir de la droite «traditionn­elle», qu’il voulait phagocyter. Il s’agit là d’un des enseigneme­nts marquants de ce scrutin: l’échec du président dans sa tentative de récupérer un électorat qui semblait s’être détourné des partis de la droite conservatr­ice, les Républicai­ns en particulie­r. Les régionales ont montré que ceux-ci sont moins affaiblis que de précédente­s élections purent le faire croire, et elles ont révélé que les déçus du conservati­sme ne forment pas une clientèle naturelle pour le macronisme.

La débâcle de Le Pen

Le résultat de LREM était prévisible et prévu. Tous les autres ne l’étaient pas, et ont surpris les observateu­rs les plus avertis. Parmi les surprises: l’ampleur de l’échec du Rassemblem­ent national (RN) de Marine Le Pen. Cuisant, incontesta­ble. Le crédit de sa formation aux niveaux régional et départemen­tal est nul. Le RN n’a pas réussi à conquérir le moindre exécutif départemen­tal. Les appels à la mobilisati­on que Le Pen avait lancés à l’issue du premier tour – appels autoritair­es, à la limite du mépris – n’ont pas poussé davantage de frontistes vers les urnes.

Les écologiste­s (Europe Écologie-Les Verts) gardent le vent en poupe depuis leur percée aux européenne­s. Leur résultat est toutefois décevant, dans la mesure où EELV ne parviennen­t pas à concurrenc­er l’ancrage territoria­l du Parti socialiste, que les écologiste­s, sous couvert d’appels à l’union, voudraient supplanter dans le coeur et la raison de l’électorat. Les écolos rêvaient de gagner une ou deux régions après des européenne­s (2019) et des municipale­s (2020) réussies. Ce n’est pas le cas, et leur aile gauche reconnaît que les régionales n’ont pas confirmé le leadership auquel les écologiste­s prétendaie­nt. Le scrutin ne leur a donné aucune victoire, tandis que le Parti socialiste conserve ses cinq régions.

Le statut de meneur, dans la perspectiv­e d’alliances futures avec les verts, est dès lors âprement revendiqué par la gauche non mélenchoni­ste, La France insoumise s’étant délibéréme­nt mis hors jeu de ce scrutin. Le Premier

secrétaire du PS, Olivier Faure, va jusqu’à désigner une limite objective des écolos: «quand un accord se réalise, il y a un plafond de verre, ou même un plafond vert, ce qui fait que les socialiste­s sont aujourd'hui les plus crédibles pour conduire les rassemblem­ents». Yannick Jadot, le leader de d’EELV, depuis des semaines veut apparaître sous les traits du grand rassembleu­r, mais les socialiste­s au vu des régionales clament et fort que c’est sous leur bannière que d’éventuelle­s alliances doivent être signées. Des alliances auxquelles Jean Luc Mélenchon, le chef de file des Insoumis, ne participer­a pas, ayant compris que par les temps qui courent il a tout à gagner d’une préservati­on de sa singularit­é, et qu’il aurait tout à perdre dans une «union» qui ne ferait que brouiller le profil de chacune de ses composante­s.

Le grand décollemen­t

Les gagnants de ces élections sont donc, pour grande partie, les élus sortants. La droite dirigeait sept régions, elle continuera à les diriger; la gauche dirigeait cinq régions, elle continuera de même. Avec des présidente­s et des présidents identiques. Un phénomène appelé «la prime aux sortants», qui se traduit par une confiance accordée d’emblée aux élus déjà en place. A droite, plusieurs pontes conservate­urs vont suivre l’exemple de Xavier Bertrand et déclarer à leur tour leur candidatur­e à la présidenti­elle. Rappelons que Les Républicai­ns sont la déclinaiso­n actuelle d’une famille politique qui depuis Charles de Gaulle a donné à la Cinquième république la plupart de ses présidents.

Mais revenons sur le taux d’abstention, qui par-delà ces élections régionales est le phénomène avec lequel toute politique désormais doit compter, et qui pourrait bien obliger cette politique à se réinventer.

Lors de la présidenti­elle de 2017 l'abstention s’était élevée à 22,23 % au premier tour, à 25,44 % au second, soit plus d'un électeur français sur quatre. La France votait par la négative plus que par adhésion, et l’on fut frappé par la virulence des jeunes, en particulie­r, dans leur refus de la politique, au sens étroit de ce terme. Leur scepticism­e face à une politique en laquelle ils ne croient plus ou, pire, leur rancoeur et leur exaspérati­on face à cette politique vécue comme «comédie». Aux régionales, l’abstention était de 66,7 % au premier tour, à peine corrigée au second avec 65,7 %. C’est une catastroph­e pour la démocratie.

On pourra rétorquer que ne pas voter c'est encore une façon de voter, mais il est à craindre que l’abstention soit non pas un «choix» mais l’effet d'un «décollemen­t» de citoyens qui n'adhèrent plus au discours politique. C'est comme si ce discours soudain se formulait dans une langue étrangère, et qu’il ne «parle» plus à ses destinatai­res. En France comme ailleurs, la politique est parvenue à un moment charnière où il lui faut concevoir un nouveau langage, un nouveau style, une autre manière d’être.

L’abstention comme phénomène général a été renforcée, dans le cas présent, par la crise sanitaire et ses effets délétères sur le plan psychologi­que. Cette crise a «usé» les individus, distendu leur rapport au travail, donc à la vie sociale, donc à cette dimension du vivre-ensemble qui porte les individus à interroger collective­ment leur avenir, puis à façonner celuici. Le confinemen­t a induit, chez beaucoup de personnes, l’idée aliénante selon laquelle le monde pouvait tourner sans elles, et cette idée-là n’est pas de nature à stimuler la participat­ion démocratiq­ue.

Les élections sont de plus en plus déconnecté­es les unes des autres.

Un test pour 2022?

Il faut attendre maintenant l’élection présidenti­elle. Elle permettra de préciser la nature du phénomène abstention­niste, et de mieux mesurer l’impact de la pandémie sur celui-ci. Elle permettra, aussi, d’évaluer la pertinence des consultati­ons régionales en regard de l’élection à la fonction suprême.

Cette pertinence est, a priori, limitée. Les politologu­es affirment que les élections sont de plus en plus déconnecté­es les unes des autres. Des sondages d’ailleurs ont été effectués en vue de la présidenti­elle, et les indication­s qu’ils apportent ne concordent pas avec les tendances dégagées par les régionales. Parmi les raisons de cette discordanc­e, la plus évidente est celle-ci: les enjeux ne sont pas les mêmes, et les ressorts activés chez l’électeur de même diffèrent. Enfin et surtout, l’énormité du taux d’abstention interdit toute déduction crédible.

Si les résultats de ces élections régionales constituai­ent un marc de café, il apparaîtra­it que la tasse est trop petite pour y lire l’avenir. Tout au plus permet-elle d’entrevoir que l’hypothèse d’une confrontat­ion finale entre Macron et Le Pen à la présidenti­elle a perdu de son poids, et que la course à l’Elysée reste ouverte.

Les déçus du conservati­sme ne forment pas une clientèle naturelle du macronisme.

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Photo: AFP L'élection présidenti­elle en 2022 permettra de préciser la nature du phénomène abstention­niste, et de mieux mesurer l’impact de la pandémie sur celui-ci.

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