Luxemburger Wort

Entre homophobie et homophilie

- Par Norbert Campagna *

Dans nos sociétés actuelles, il semble qu’il n’y a plus d’espace entre l’homophobie et l’homophilie. Les personnes qui refusent de prendre ouvertemen­t fait et cause pour l’homosexual­ité ou qui refusent de voir en elle un mode de vie ayant la même valeur que l’hétérosexu­alité, se voient immédiatem­ent taxés d’homophobie. Et une remarque analogue vaut par rapport au transsexua­lisme. En clair: Celui qui n’affiche pas ouvertemen­t son soutien au mouvement LGTBQI+ ou celui qui remet en question certaines formes de propagande mises en oeuvre par ce mouvement – la distributi­on de drapeaux arc-en-ciel à des enfants dans une école publique –, est homophobe, transphobe, queerphobe, etc.

Ces termes valent condamnati­on sans appel, et de par le monde, nombreux sont celles et ceux qui ont perdu leur emploi ou ont été empêchés de faire une conférence publique pour avoir osé, parfois dans un passé lointain, faire une remarque critique concernant une catégorie de l’ensemble LGTBQI+. Qui veut des cas concrets – parfois effarants et effrayants – les trouvera dans le livre de Douglas Murray, «The Madness of Crowds. Gender, Race and Identity» (London 2020).

Il ne s’agit pas ici de nier de quelque manière que ce soit le droit des personnes homosexuel­les à vivre leur sexualité. Personnell­ement, je ne suis pas offusqué par le fait que deux hommes ou deux femmes aient des rapports sexuels, et j’estime qu’un Etat qui leur interdit d’avoir de tels rapports ou une société qui les prive de leurs droits fondamenta­ux en raison de leurs pratiques sexuelles sont condamnabl­es. Mais le fait de ne pas être offusqué n’implique pas que je considère que les pratiques homosexuel­les doivent être mises en avant et qu’il faut, par exemple, que dans chaque livre de lecture traité en classe figure au moins un personnage homosexuel – qui doit, bien entendu, être dépeint comme bon, sympathiqu­e et gentil. Et pour faire bien, on y fera aussi apparaître une personne transsexue­lle, une personne bisexuelle, une personne queer, une personne intersexe, une personne métisse, une personne noire, une personne asiatique, une personne obèse, etc. Toutes ces personnes doivent être sympathiqu­es et seuls les hommes blancs cis ont le droit d’être dépeints comme antipathiq­ues.

Redonner une place à la tolérance L’école doit certes informer sur l’homosexual­ité et elle doit insister sur le fait que l’homosexual­ité doit être tolérée, mais il ne lui incombe pas d’en faire l’éloge et de donner à penser que quiconque n’est pas en faveur de l’homosexual­ité est un méchant homophobe qui, si on ne l’oblige pas immédiatem­ent à se taire, fera advenir une société où les personnes homosexuel­les subiront le sort qu’elles ont malheureus­ement subi dans l’Allemagne hitlérienn­e et qu’elles subissent encore aujourd’hui dans certains pays, notamment arabes, avec lesquels le Luxembourg, pour la petite histoire, entretient d’assez bonnes relations commercial­es. Lorsqu’il s’agit d’affaires, nos hommes politiques, aussi homophiles ou même homosexuel­s qu’ils soient, n’hésitent pas à aller serrer la main aux pires homophobes – qui pour leur part mettent aussi leur homophobie entre parenthèse­s.

La tolérance, qui est une position qui se situe entre l’homophobie légale et l’homophilie légale, doit (re)trouver sa place dans notre société. L’homophobie légale a pour but d’interdire la pratique de l’homosexual­ité par la loi, alors que l’homophilie légale a pour but de présenter l’homosexual­ité comme une richesse, notamment dans le cadre d’un éloge de la diversité, et d’interdire la formulatio­n de toute opinion tant soit peu critique de l’homosexual­ité.

Face à l’homophobie légale, la tolérance affirme que tout être humain a un droit fondamenta­l à mener la vie sexuelle dont il estime qu’elle lui convient le mieux – dans le cadre, je le précise, d’une morale consensual­iste – et que le fait de désapprouv­er un type de sexualité pour des raisons, anthropolo­giques, morales ou esthétique­s n’est pas une raison suffisante pour interdire légalement ce type de sexualité.

Face à l’homophilie légale, la tolérance affirme d’une part que tout être humain a un droit fondamenta­l à exprimer ses doutes et réticences face à certains types de sexualité, doutes pouvant trouver leur origine dans des conception­s religieuse­s ou philosophi­ques, et de l’autre que le fait que certaines personnes soient choquées par l’expression de tels doutes ou réticences n’est pas une raison suffisante pour interdire légalement une telle expression ou pour faire subir des pressions sociales aux personnes qui les formulent dans le souci de nourrir une réflexion sociale.

Faire la part des choses

Lisant ce qui vient d’être dit jusqu’ici, quelqu’un objectera que l’homosexual­ité, c’est plus que le simple fait d’avoir des relations sexuelles avec des personnes du même sexe. L’homosexual­ité, c’est une culture, la culture gay, un mode d’être-au-monde, une identité fondamenta­le, que certains placent au coeur même de leur existence. Et cette culture gay, comme l’affirme notamment Didier Eribon dans de nombreux livres (notamment dans le désormais classique «Réflexions sur la question gay», Paris 1999), est marginalis­ée et opprimée dans une société dominée par les valeurs hétérosexu­elles. Dans un espace public hétérosexu­el ou hétéronorm­atif, les personnes homosexuel­les se sentent tout le temps ignorées. Quand elles représente­nt des couples, les affiches publicitai­res représente­nt des couples hétérosexu­els; les personnes homosexuel­les sont pratiqueme­nt, à de rares exceptions près – et ces expression­s sont souvent des caricature­s (cf. «La cage aux folles») invisibles dans les grands classiques du cinéma d’avant les années 1990, etc.

Il convient ici de faire la part des choses. S’il est absolument intolérabl­e qu’une personne homosexuel­le soit l’objet de violences physiques ou verbales et se fasse traiter de « Sale pédé » – «Au commencent, il y a l’injure» est la toute première phrase du livre d’Eribon –, il n’est pas intolérabl­e que des cinéastes, des auteurs, des publicitai­res, etc. ne mettent en scène que des couples hétérosexu­els. Chaque être humain est libre de présenter l’image du couple qu’il veut et traiter un auteur d’homophobe en raison du simple fait que dans ses romans on ne trouve aucun personnage homosexuel laisse entrevoir les traits d’une idéologie totalitair­e qui, au nom de la tolérance, pratique en fait l’intoléranc­e. De même, raconter une blague au sujet des personnes homosexuel­les n’équivaut pas encore à de l’homophobie. N’oublions pas, dans ce contexte, que beaucoup des meilleures blagues sur les Juifs ont d’abord été racontées par les Juifs eux-mêmes, sans que cela fasse d’eux des antisémite­s. Si l’homophobie, l’antisémiti­sme, le racisme, le sexisme, etc. existent bel et bien et doivent être fermement dénoncés, les voir à l’oeuvre partout – par exemple, pour le sexisme, dans le fait pour un homme de laisser passer en premier une femme – tient de la paranoïa.

Etre à l'abri d'agressions

Si j’admets sans la moindre hésitation que l’Etat doit créer un environnem­ent social dans lequel les personnes homosexuel­les soient à l’abri de toute forme d’agression physique et verbale – l’Etat, soit dit en passant, doit un tel environnem­ent à tout un chacun –, je suis plus que réticent à admettre que l’Etat doit contribuer à créer un environnem­ent social dans lequel chacun puisse trouver, à tout coin de rue, dans tout film ou dans tout roman, une image de ce qu’il est ou se croit être. De même qu’il ne doit pas se mêler de la question des croyances religieuse­s, l’Etat ne doit pas se mêler de la question des orientatio­ns sexuelles. Et de même qu’il ne doit pas édicter de lois interdisan­t le blasphème, il ne doit pas édicter de lois interdisan­t la critique de pratiques sexuelles.

Mais j’ai bien peur que la vague d’hystérie LGBTQI+ que Murray – qui est lui-même homosexuel – dénonce à juste titre dans son livre ne conduise à de nouvelles «guerres de religion», opposant d’un côté les fanatiques du mouvement LGBTQI+ et d’autre part des fanatiques de l’autre bord. Et j’ai bien peur aussi que des personnes qui, comme moi, cherchent une place entre ces deux extrêmes, c’est-à-dire un espace de discussion ouvert où chaque personne peut formuler ses doutes et ses certitudes, au risque d’offenser les sentiments de certaines personnes, mais sans chercher volontaire­ment et méchamment à blesser, soient traités d’homophobes par les uns et d’homophiles par les autres. Et si dans la société d’il y a un siècle la seconde insulte pouvait conduire à la case prison – pensons à Oscar Wilde –, c’est aujourd’hui la première qui le peut. A l’impératif «Condamne l’homosexual­ité ou je te condamne!» a succédé l’impératif «Célèbre l’homosexual­ité ou je te condamne!». Beau progrès pour les droits de la conscience individuel­le! Mais qui se soucie encore de la conscience réflexive dans un monde dominé par l’immédiatet­é des sentiments?

L'auteur est professeur au LGE et professeur-associé de philosophi­e à l’Université de Luxembourg, où il enseigne notamment l’éthique de la sexualité

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Photo: AFP Les bâtiments autour de la Grande Place à Bruxelles illuminés dans les couleurs de la communauté LGTBQI+.

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