«La piqûre de rappel du principe de réalité»
Le politologue Philippe Poirier et son interprétation de l'hospitalisation du Premier ministre et des conséquences politiques
Le maintien de l'hospitalisation du Premier ministre Xavier Bettel (DP) constitue un événement aux multiples conséquences, selon le politologue Philippe Poirier. Ce dernier y voit notamment le fait que certains ont oublié que la pandémie pouvait encore avoir «de vrais effets» au Luxembourg.
Philippe Poirier, pour quelques jours encore, le Premier ministre Xavier Bettel sera hospitalisé après avoir contracté le covid-19. Cette situation pourrait-elle mettre à mal la stratégie sanitaire mise en place depuis le début de la pandémie?
Si nous comparons avec d'autres chefs de gouvernement qui ont été infectés, comme
Boris Johnson au Royaume-Uni ou Donald Trump aux EtatsUnis, les enquêtes d'opinion qui avaient été faites avant, pendant et juste après ces hospitalisations montrent que ces dirigeants ont vu leur légitimité renforcée auprès de la population. Il en va de même avec la politique qu'ils incarnent, même si cet épisode peut aussi renforcer les convictions des opposants politiques du Premier ministre Bettel.
Cette infection met surtout au jour le fait que tout un chacun peut être infecté en cas de nonrespect des règles sanitaires, malgré l'injection d'une première dose de vaccin.
Effectivement. Car depuis lundi après-midi, la population est informée de la gravité de l'état de santé du Premier ministre. Ce qui pose la question des variants et de leurs effets. C'est là que le doute peut s'immiscer, qu'une nouvelle préoccupation peut naître. Au fond, ce n'est pas tant le sort du Premier ministre qui inquiète, mais bel et bien le fait que certains vont s'interroger sur les conséquences de cette infection sur les résidents. Au final, cette hospitalisation constitue une piqûre de rappel au principe de réalité inhérent à une pandémie qui peut encore avoir de vrais effets au Luxembourg.
Cet événement peut-il être mis en relation, de ce point de vue, avec le malaise de Paulette Lenert (LSAP), tous deux incarnant la politique de lutte contre la pandémie?
Oui, même si cet épisode a probablement apporté plus d'inquiétude car la ministre de la Santé est responsable de l'exécution au jour le jour de la politique sanitaire. Tandis que là, il s'agit du Premier ministre qui ne possède pas l'étendue d'une chancelière allemande ou d'un Premier ministre belge. Car constitutionnellement, au Luxembourg, c'est le gouvernement qui gouverne. Avec un chef d'équipe à sa tête.
Que signifie, sur le plan politique, le fait que ce soit le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) qui a reçu la délégation de signature du Premier ministre?
Cela peut avoir plusieurs sens. D'abord que le gouvernement tient à consolider la reprise économique en donnant les pouvoirs à une personnalité qui connaît parfaitement la situation et qui peut être à même de rassurer les acteurs qui seraient inquiets d'un changement à la tête du gouvernement. C'est une indication sur la direction que souhaite donner le Premier ministre pour la suite. Après, il faut bien admettre que c'est quand même très curieux de ne pas confier cette mission à l'un des deux vice-Premiers ministres. Cela peut même apparaître comme un camouflet pour les deux autres partis de la coalition. Et particulièrement pour Déi Gréng qui n'a eu que peu son mot à dire tout au long de la gestion de cette pandémie.
Que se passerait-il si la situation actuelle était amenée à perdurer?
Sur le plan général, cela serait un événement important qui viendrait entamer la confiance acquise ces dernières semaines dans la solution que constitue le vaccin et dans l'espoir d'un avenir meilleur. Cela pourrait donc générer de l'inquiétude qui pourrait alors impacter aussi bien les comportements sociaux que les habitudes de consommation par exemple. Sur le plan politique, cela amènerait peut-être à accélérer la réforme constitutionnelle qui doit notamment organiser de manière plus précise le fonctionnement du gouvernement en cas d'urgence.