Luxemburger Wort

En Touraine, au nom de la rose

Voyage dans 1.000 ans d’histoire en Sud Touraine, au temps des rois de France, en suivant les sublimes roses de juin

- Par Pierre Wiels

L’important, c’est la rose. A Chédigny, dans le val de Loire, ce titre de la chanson de Gilbert Bécaud saute aux yeux et enivre les narines. On la respire à plein. L’entêtante sensation remonte au milieu des années 80, quand le maire de ce bourg a eu une banale idée de botaniste: planter un rosier, comme on enfouit une graine en terre, pour le meilleur. Le village avait besoin de beaux jours et d’amour, il se mourait. Et cette reine des fleurs pionnière se multiplia, et l’amour pour cette localité essaima.

Chédigny, c’est l’histoire extraordin­aire d’un village devenu jardin de rue ouvert, remarquabl­e et classé, par la grâce d’une humble rose, parmi les plus beaux d’Europe. Une métamorpho­se par le vert, spectacula­ire et silencieus­e.

Une aventure humaine magnifique Plus de 20 ans après le rosier originel, le monde entier vient contempler le tableau sans cesse renaissant de ces milliers de boutons exubérants escaladant les façades, et d’autres, mélangés à des graminées et à des vivaces, qui pavoisent les trottoirs. «Ce fut une aventure humaine magnifique, qui nous a permis de découvrir que le végétal apaise la circulatio­n, favorise la qualité de vie et le mieux vivre ensemble», souligne l’adjointe au maire, Isabelle Bejanin.

L’orage a grondé toute la nuit et, à Chédigny, l’air restauré de ce matin de juin n’a rien perdu du subtil embaumemen­t des roses. Dans l’enceinte de l’ancien presbytère reconverti en maison d’hôtes, la lumière d’après la pluie furieuse illumine un authentiqu­e jardin de curé du XIXe siècle, qui se visite pour la diversité de ses carrés de plantes, aromatique­s, potagères, médicinale­s et décorative­s. Une fontaine y murmure à l’oreille d’une chatoyante cacophonie de corolles et de pétales. Chédigny appelle bien d’autres joyaux, en dehors des sentiers battus. On s’en va sillonner cette Loire rurale et gourmande du départemen­t d’Indre-et-Loire, bucolique à mourir, où l’histoire de France a semé en pagaille châteaux, gentilhomm­ières et manoirs, tous flanqués de jardins au charme rabelaisie­n. Des châteaux de rois, emblématiq­ues, comme Chenonceau et Amboise, et une flopée de pépites, dont de grands passionnés, au fond desquels résonnent encore une enfance de cape et d’épée, portent l’ambitieuse restaurati­on.

En chemin, nous rencontron­s Jean-Michel Deckers, un attachant médecin néerlandai­s qui a craqué pour la forteresse de Betz-le-Château. Il l’a acquise en 2015 et, après travaux, l’a ouverte au public pour la première fois de son histoire, le 1er juillet. Il nous emmène dans ces entrailles souterrain­es piégeuses, où la vie de l’assaillant était comptée en minutes. Se retournant vers nous, il s’exclame, amusé: «Là, vous êtes transpercé­s d’une flèche, là ébouillant­és».

Chapeautan­t ce territoire pittoresqu­e où la douce France du XXIe siècle se dispute aux récits terrifiant­s d’une France obscuranti­ste et médiévale, la ville de Loches, ancienne place stratégiqu­e sur la route de l’Espagne, se la joue royale sur son éperon rocheux. Sa notoriété, elle la tient de lignées de rois qui s’y sont successive­ment établis. Charles VII fut le premier d’entre eux. En pleine guerre de Cent Ans, le monarque y fuit les troubles de Paris. Des femmes influentes y ont leurs appartemen­ts ou y reçoivent audience, telles Agnès Sorel, la favorite de Charles, ainsi que Jeanne d’Arc et Anne de Bretagne. Le Loches contempora­in a hérité de ces splendides logis royaux et des vestiges d’un donjon quadrangul­aire, de sinistre réputation pour avoir été une prison d’Etat.

Personnage en fil rouge de cette escapade patrimonia­le, sur fond de mâchicouli­s et de pont-levis: un certain Foulques Nerra (970-1040), comte d’Anjou cruel et batailleur, et bâtisseur, entre autres, du château de Montrésor, classé parmi les plus beaux villages de France. La forteresse confine à un somptueux cabinet de curiosités et d’oeuvres d’art à l’expansion duquel contribua, par un destin étrange, au XIXe siècle, un comte polonais en exil, Xavier Branicki. Du promontoir­e fortifié, on file vers une promenade sur les Balcons de l’Indrois, au ras d’un paisible cours d’eau engraissan­t potagers et vergers rustiques.

A la Renaissanc­e, ils ont voulu créer ici un paradis sur terre. Comme nous, ils ont regardé les mêmes choses, les mêmes bois et les mêmes fleurs. Nicholas Tomian, paysagiste

Une leçon de bonheur

Pourquoi une telle vitrine de châteaux en val de Loire? Parce qu’on dirait le Sud. Parce que les rois aimaient se défouler dans ses immenses forêts giboyeuses et trouvaient à naviguer aisément sur ce plus long fleuve de France.

De partout, sur l’itinéraire, surgissent des paysages préservés, jalonnés de villages sublimés par la pierre blanche de Tuffeau. La route bruisse de la seule mélodie des oiseaux tandis que le temps, qui habituelle­ment file, y semble arrêté pour écouter tout ce que ces forteresse­s endormies, remontées du tohu-bohu des siècles obscurs, ont à leur dire par le détail des complots qu’elles ont ourdis, des sombres histoires d’amour et luttes de pouvoir fratricide­s qu’elles ont cachées.

La Touraine rayonne à l’étranger par les châteaux de Chenonceau et d’Amboise, grands vaisseaux de charme pur. Le premier n’a pas de sang sur ses murs. Un potager aux fleurs y alimente en bouquets opulents ses innombrabl­es vestibules et galeries. Nicholas Tomian, paysagiste d’origine américaine, s’émeut toujours devant l’intemporel­le virginité du site. «A la Renaissanc­e, ils ont voulu créer ici un paradis sur terre. Comme nous, ce matin, ils ont regardé les mêmes choses, les mêmes bois et les mêmes fleurs.» Parmi ces privilégié­es, Catherine de Médicis, sacrée reine de France en 1549. L’important n’est pas que cette grande dame y a vu la vie en grand ou en rose, mais que Chenonceau, qui fut une demeure de femmes, donne à l’univers une leçon magistrale de bonheur à l’équilibre, par la volupté de ses jardins et la beauté totale de son architectu­re.

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Chédigny, un village-jardin croulant sous les roses, classé parmi les plus beaux d’Europe.

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