La laïcité, ça se discute
Une commissaire du gouvernement belge lie la déclinaison de la neutralité de l’Etat au changement démographique
La polémique sur le port des signes convictionnels est repartie de plus belle en Belgique à l’occasion d’une interview donnée au «Soir» par Ihsane Haouach, fraîchement nommée commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. «La discussion n’est pas: Est-ce qu’on remet en cause la séparation de l’Eglise et de l’Etat? C’est: comment la décline-t-on avec un changement démographique?», s’y interroge Ihsane Haouach. La «commissaire voilée» estime que l’interdiction du port des signes convictionnels dans l’administration publique est «discriminatoire et inefficace».
Cette sortie a braqué ceux qui, en juin dernier, reprochaient déjà au parti Ecolo d’avoir nommé une femme voilée à un poste aussi emblématique. «La désignation d’une femme portant un signe convictionnel comme commissaire du gouvernement est totalement contraire au principe de neutralité de l’Etat», avait réagi le président des libéraux francophones Georges-Louis Bouchez sur Twitter.
Une garantie d’égalité
Le même Bouchez estime aujourd’hui que la déclaration faite à la presse par Ihsane Haouach est «extrêmement dangereuse» et illustre «son incapacité à faire preuve de la neutralité nécessaire à cette fonction». «En effet, poursuit-il, cette théorie selon laquelle il faut faire évoluer des valeurs fondamentales au nom de l’évolution démographique est une base de l’argumentation haineuse de l’extrême droite qui appuie sa théorie du remplacement, que nous rejetons, sur cette idée inacceptable.» Le petit parti Défi (libéral-social, opposition) embraie: «Madame Haouach estime que l’interdiction des signes convictionnels est 'discriminatoire et inefficace’. C’est son droit. Mais elle est commissaire du gouvernement fédéral, et sa parole sur de tels sujets engage celui-ci.»
Une autre charge est venue du Centre d’action laïque: «Défendre l’impartialité de l’Etat et la neutralité de ses agents n’est ni discriminatoire ni raciste. C’est au contraire une garantie d’égalité. Le gouvernement cautionne-t-il un principe de séparation des Eglises et de l’Etat modulable en fonction des évolutions démographiques? Pour le Centre d’Action Laïque, c’est non.». L’organe représentatif de la laïcité auprès des pouvoirs publics demande au gouvernement De Croo – auquel appartiennent les écologistes du nord et du sud du pays – de prendre ses responsabilités.
Cette affaire, qui succède à une décision de justice condamnant l’interdiction du port du voile à la Société bruxelloise de transports publics Stib, a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. Pour ses détracteurs, Ihsane Haouach incarne le dessein d’un islam conquérant qui menacerait le mode de vie occidental.
Le spectre d’une «Bruxelles voilée» et les menaces qui pèsent supposément sur la neutralité de l’Etat ont a priori de quoi faire les choux gras de l’extrême droite. Le Vlaams Belang exige de fait la démission immédiate d’Ihsane Haouach et se dit abasourdi «qu'un commissaire du gouvernement remette en question notre précieux système démocratique à cause des changements démographiques » (…) Un commissaire du gouvernement est nommé par le gouvernement et relève à ce titre du principe de neutralité», fait savoir son président Tom Van Grieken par communiqué.
Le parti Ecolo rétorque que la nomination de la commissaire Ihsane Haouach est avant tout «politique». Reste qu’elle a réussi à ce jour à rassembler contre elle les partis d’opposition au gouvernement De Croo, à l exception notoire des communistes du PTB…