Luxemburger Wort

Un chemin vers soi

Claire Colette raconte sa traversée de l’Auvergne. Une épreuve physique qui bouleverse son paysage intérieur.

- Par Laurence D'Hondt

Claire Colette n’est pas à son premier pèlerinage. La première fois qu’elle quitte maison, mari, enfants, elle a 53 ans et se découvre atteinte de fibromyalg­ie, une maladie qui rend tout effort musculaire et articulair­e extrêmemen­t douloureux. Pour surmonter son mal, elle le met à l’épreuve, pressentan­t qu’elle y trouvera soit son salut, soit qu’elle en mourra. Après 2.400 km, elle revient guérie et naît de sa seconde vie. Elle raconte cette renaissanc­e dans un livre qui mettra sept ans à venir au monde: «Compostell­e, La saveur du chemin», Academia, 2015.

Depuis lors, elle reprend chaque année le chemin, un mois, voire plus. Car aucun chemin ne l’amène au même endroit d’elle-même. Après son corps, elle guérit son coeur, après son coeur, elle soigne et nourrit son âme. Ainsi en 2019, elle décide de prendre la Via Arverna, soit 460 km entre Clermont Ferrand et Rocamadour en pleine Auvergne. Depuis qu’elle s’est installée le long de la Semois en Belgique, elle aime les gorges profondes, les chemins sortant à peine de l’ombre, les remontées escarpées, la trouée de lumière incandesce­nte. Entre le paysage des Ardennes et le paysage auvergnat constellé de volcans, il y a une parenté dans laquelle elle cherche son paysage intérieur. Avec un père dont la maladie psychique a affecté son enfance et une mère repliée dans le mutisme, Claire Colette a grandi dans la nécessité d’une survie psychique.

Qu’est ce que l’Auvergne va lui révéler? «Ce chemin débusque mon histoire maternelle et l’importance de me libérer de cet attachemen­t à la souffrance», écrit-elle sur le bord de la route. Tout ces chemins parcourus dévoilent une part d’elle-même afin de reconquéri­r sa «souveraine­té», soit son territoire sacré, libre, inaliénabl­e. Il ne s’agit pas pour elle d’un territoire destiné à mieux se tenir à l’écart de l’humanité, mais d’un espace reconquis pour la sortir «des bas cotés de soi-même» où beaucoup mènent leur existence dans une course effrénée pour la survie. A chaque chemin, elle revient bouleversé­e ou encore, selon la devise des pèlerins du Moyen Age, Ultreia, «plus oultre, plus loin». Plus proche de son âme, cet état suprême qui la fait entrer en communion avec le vivant et éprouver l’amour du vivant comme «substance même de la création»: arbres, lumière, brouillard, pèlerins, enfants, petits enfants, eux aussi reconnus comme souverains.

Claire Colette imagine parfois pouvoir faire ce chemin intérieur sans se mettre en mouvement. Mais elle sait qu’elle a encore besoin de la marche, cette tension physique, pour entrer dans son silence intérieur, le seul bruit qui la ramène à elle.… L.Dh.

«Marcher à coeur ouvert, de l’Auvergne vers Compostell­e», édition Salvator, collection Chemins d’étoiles, dirigée par Gaëlle de la Brosse, 2021, 16,50 euros

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