Justitia et son genou
Réflexions à l’occasion d’un procès
L’opinion publique a été témoin ces derniers jours d’un procès peu ordinaire opposant un juge d’instruction à un avocat. Les débats étaient houleux pour se terminer provisoirement par le renvoi du dossier devant le président du tribunal d’arrondissement pour statuer sur une demande de récusation.
En attendant le sort réservé à cette demande, le moment se prête à une analyse de ce procès sous l’angle de Justitia, la déesse romaine de la justice.
Communément, cette dame porte les attributs suivants: la balance, le glaive, le bandeau, la main de justice ,les tables de loi sans oublier le serpent. Ces attributs ont souffert lors des débats.
A part l’intervention de Madame le procureur général d’Etat et de Madame la bâtonnière, les intervenants étaient très majoritairement des personnes de sexe masculin, garantissant ainsi un taux élevé de testostérone dans la salle d’audience ce qui n’est pas toujours la garantie d’un débat équilibré. De plus, l’harmonie, autre signification de la balance, faisait également défaut d’où la demande en récusation.
Pour le bandeau, il faudra également revenir alors que le président d’audience, l’avocat et le procureur ont tous à un moment donné de leur vie été juge d’instruction.
Les tables de loi ont été utilisées pour justifier le refus du juge d’instruction de communiquer avec un avocat sur une instruction en cours.
Chacun sait – et je peux en témoigner après 35 ans d’expérience dans le milieu judiciaire– qu’une communication saine et respectueuse entre intervenants apporte beaucoup de sérénité aux débats tout en permettant d’avancer dans l’intérêt du justiciable et de la justice mieux qu’un quelconque texte.
Pour le symbole de la sagesse et de la prudence – le serpent- n’aurait-il pas été plus prudent et sage d’évacuer ce dossier non pas de façon prioritaire?
En effet, il y a d’autres, beaucoup d’autres dossiers plus urgents et plus importants qui attendent d’être évacués et qui ne le sont pas, faute justement de l’encombrement du rôle du tribunal par ce genre d’affaires.
Pour le glaive, on se résoudra à attendre qu’il… tranche si toutefois un jour il tranchera!
Quid du genou, le plus méconnu des symboles? Il est double, car dénudé et incliné. Traditionnellement, il renvoie à la clémence et au pardon.
Dans ce dossier, il y a probablement eu de part et d’autre des impairs, des écarts de langage, des maladresses de commis, mais rien n’excluant un pardon ou une attitude plus clémente des protagonistes l’un envers l’autre au lieu de se donner en spectacle.
Car il s’agit bien d’un spectacle que nous ont offerts les protagonistes et Justitia a pu craindre un clivage de la famille judiciaire.
On n’y est pas encore, et comme dans toute famille qui se respecte, il est recommandable de laver son linge sale en privé, car un déballage en public ne le rend pas plus propre.
Ici intervient une dernière fois le genou en tant que représentant l’humilité.
Dès lors, rappelons-nous – magistrats et avocats – que notre cause première est d’être au service de la justice, qui – apparemment n’est pas de ce monde – est un idéal auquel chacun de nous se doit d’aspirer.
Je suis persuadé qu’avec l’humilité nécessaire et en respect des autres symboles de Justitia, ensemble nous y arrivons, car nous faisons tous partie de la solution. Jean-Jacques Schonckert,
Luxembourg-Grund