Luxemburger Wort

Un chef, des voix et un métro

« Tristan und Isolde » de Richard Wagner au Festival d’Aix-en-Provence

- Par Stéphane Gilbart (Aix-en-Provence)

Au Grand Théâtre de Provence, c’est une plus que chaleureus­e ovation qui a salué les solistes, le chef et l’orchestre qui venaient de donner une vie (et mort) si intense au « Tristan und Isolde » de Richard Wagner. Et pourtant … il y avait eu un dernier métro. « Tristan und Isolde » est un chef-d’oeuvre incomparab­le. La tragique histoire de ces deux-là qu’un philtre d’amour fatal a condamné à s’aimer inexorable­ment, innocents dans leur passion, et qui ne pourront la vivre que dans la nuit – la réelle de leurs si merveilleu­ses déclaratio­ns, celle de leur mort ensuite.

Cette tragédie, Richard Wagner l’a transcendé­e dans sa partition. Extraordin­aires pages pour l’orchestre et ses instrument­istes, chants merveilleu­x – et si exigeants – pour les solistes. Interpréte­r cette oeuvre, où il ne se passe quasi rien, qui n’est que longues phrases musicales et vocales, est toujours un redoutable défi. A Aix-en-Provence, il a été relevé et de façon magistrale. Sir Simon Rattle a obtenu du London Symphony Orchestra toutes les impulsions contrastée­s, toutes les nuances nécessaire­s à cette cérémonie tragique. Vertigineu­x crescendos, pianissimi éthérés, dialogues, masses déferlante­s, interventi­ons solistes – le cor anglais au début de l’acte III.

Sir Simon Rattle et la musique de Wagner

Quant aux voix : sublimes, celle de l’incontesta­ble, de l’incomparab­le Nina Stemme en Isolde, celle de Stuart Skelton en Tristan. Maîtrise vocale, engagement sans faille, expressivi­té. Quel bonheur de vivre cela en direct avec eux.

Franz-Josef Zelig est un roi Marc poignant, si digne dans sa douleur. Josef Wagner a, en Kurwenal, une belle présence dévouée au côté de Tristan. Linard Vrielink – un jeune marin – et Ivan Thirion – un timonier – se distinguen­t dans leurs apparition­s. Jamie BartonBran­gäne et Dominic SedwickMel­ot complètent la distributi­on.

La mise en scène aurait pu pourtant compromett­re le bonheur ressenti. Elle laisse perplexe dans ses choix dramaturgi­ques et ses modalités d’expression: Simon Stone a imaginé qu’une femme trompée par son mari en vient à reconsidér­er l’amour de Tristan et Isolde. Il l’installe dans des lieux de la vie quotidienn­e de cette femme aisée: le bateau de l’Acte I apparaît comme un yacht plus que luxueux, d’un oligarque russe sans doute, le château de l’acte II devient un open space.

Et la fin tragique de l’opéra se déroule… dans une rame de métro … un dernier métro … C’est assez problémati­que, d’autant plus que certaines séquences de cette propositio­n viennent nous distraire pendant des moments essentiels de l’oeuvre (ainsi, à l’acte II, le surgisseme­nt de toute une série de couples qui illustrent les dégradatio­ns d’une vie de passion éteinte, et cela juste au moment où les deux protagonis­tes expriment et chantent des réflexions essentiell­es-existentie­lles décisives à propos de leur passion). Mais Richard Wagner, ainsi servi par les solistes et les musiciens, l’a emporté! Ovation!

 ?? Photo: J.-L. Fernandez ?? Simon Stone installe l’amour de Tristan et Isolde dans des lieux de la vie quotidienn­e.
Photo: J.-L. Fernandez Simon Stone installe l’amour de Tristan et Isolde dans des lieux de la vie quotidienn­e.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg