Un chef, des voix et un métro
« Tristan und Isolde » de Richard Wagner au Festival d’Aix-en-Provence
Au Grand Théâtre de Provence, c’est une plus que chaleureuse ovation qui a salué les solistes, le chef et l’orchestre qui venaient de donner une vie (et mort) si intense au « Tristan und Isolde » de Richard Wagner. Et pourtant … il y avait eu un dernier métro. « Tristan und Isolde » est un chef-d’oeuvre incomparable. La tragique histoire de ces deux-là qu’un philtre d’amour fatal a condamné à s’aimer inexorablement, innocents dans leur passion, et qui ne pourront la vivre que dans la nuit – la réelle de leurs si merveilleuses déclarations, celle de leur mort ensuite.
Cette tragédie, Richard Wagner l’a transcendée dans sa partition. Extraordinaires pages pour l’orchestre et ses instrumentistes, chants merveilleux – et si exigeants – pour les solistes. Interpréter cette oeuvre, où il ne se passe quasi rien, qui n’est que longues phrases musicales et vocales, est toujours un redoutable défi. A Aix-en-Provence, il a été relevé et de façon magistrale. Sir Simon Rattle a obtenu du London Symphony Orchestra toutes les impulsions contrastées, toutes les nuances nécessaires à cette cérémonie tragique. Vertigineux crescendos, pianissimi éthérés, dialogues, masses déferlantes, interventions solistes – le cor anglais au début de l’acte III.
Sir Simon Rattle et la musique de Wagner
Quant aux voix : sublimes, celle de l’incontestable, de l’incomparable Nina Stemme en Isolde, celle de Stuart Skelton en Tristan. Maîtrise vocale, engagement sans faille, expressivité. Quel bonheur de vivre cela en direct avec eux.
Franz-Josef Zelig est un roi Marc poignant, si digne dans sa douleur. Josef Wagner a, en Kurwenal, une belle présence dévouée au côté de Tristan. Linard Vrielink – un jeune marin – et Ivan Thirion – un timonier – se distinguent dans leurs apparitions. Jamie BartonBrangäne et Dominic SedwickMelot complètent la distribution.
La mise en scène aurait pu pourtant compromettre le bonheur ressenti. Elle laisse perplexe dans ses choix dramaturgiques et ses modalités d’expression: Simon Stone a imaginé qu’une femme trompée par son mari en vient à reconsidérer l’amour de Tristan et Isolde. Il l’installe dans des lieux de la vie quotidienne de cette femme aisée: le bateau de l’Acte I apparaît comme un yacht plus que luxueux, d’un oligarque russe sans doute, le château de l’acte II devient un open space.
Et la fin tragique de l’opéra se déroule… dans une rame de métro … un dernier métro … C’est assez problématique, d’autant plus que certaines séquences de cette proposition viennent nous distraire pendant des moments essentiels de l’oeuvre (ainsi, à l’acte II, le surgissement de toute une série de couples qui illustrent les dégradations d’une vie de passion éteinte, et cela juste au moment où les deux protagonistes expriment et chantent des réflexions essentielles-existentielles décisives à propos de leur passion). Mais Richard Wagner, ainsi servi par les solistes et les musiciens, l’a emporté! Ovation!