Incontinence
Billet
Le Pape dénonce notre «indifférence». Nous sommes, dit-il, insensibles à la détresse de l’autre, et peinons dès lors à entendre ses appels. Nous avons, dit-il, fermé les yeux et le coeur devant tout ce qui nous sollicite, sourds comme des pots aux pleurs du monde. C’est injuste.
C’est injuste, et pourrait bien reposer sur une erreur d’appréciation. Indifférence? Il se pourrait que l’inverse fût vrai, et que loin de l’indolence dont le Pape nous fait grief c’est une extrême présence au monde qui au contraire nous caractérise.
De fait, nous ne cessons de dénoncer et de nous apitoyer, de nous complaire, main sur le coeur, dans une lamentation sur les bannis et les démunis, les peuples violentés et les espèces menacées. «Indignez-vous», tel était le mot d’ordre, nous l’avons entendu et répété, révoltés devant les inégalités et les minorités opprimées, les violences policières et l’élevage en batterie.
Indifférence? Mais non: incontinence! Une incessante coulée d’émois désolés, de chères et chaudes larmes, dans une sourcilleuse attention à l’autre, portée par une juridiction médiatique qui montre et dénonce, fait comparaître au tribunal de la morale la tragédie des migrants et la déforestation de l’Amazonie, ouvre les vannes d’une émotivité qui dans son déferlement abat toute hiérarchie objectale, toute gradation entre l’intolérable mineur et l’insoutenable majeur. Nous sommes les nouveaux Justes, uns et indivisibles, et devant la faute d’une seule brebis galeuse nous sommes des millions à demander pardon, genou dans le gazon, tant est grande notre attention, vive notre sollicitude, profond aussi le sentiment de notre interdépendance.
Le Pape condamne notre indifférence, mais c'est notre angélisme qu'il devrait fustiger. L'hypertrophie des coeurs, les indignations niaises, le postulat d’une fraternité qui dans la Toile a trouvé son vecteur fantasmatique, laissant croire que l'on tend la main comme on établit une connexion. On a loué la différence et l'ouverture à celle-ci, mais notre aspiration étant trop ample elle bute sur les réalités: nous découvrons que l'Autre est nombreux, et qu'il n'y a pas assez de place pour l'accueillir quand la Différence arrive par milliers. Et de l’épreuve de réalité naît une culpabilité qui à son tour va hypertrophier nos prétentions, dans un cycle sans fin de la bonne volonté, de la frustration et de l’excès de zèle. Les réfugiés pendant ce temps errent aux portes de l’Occident, privés d’une illusion, tandis que nous tous qui prétendions les accueillir sommes malades de notre charité.
D’où cette misère de la vertu? De son poids, car trop chargée elle devient lourde à porter. De son exposition, quand l’âme est trop occupée à se contempler. De sa culpabilité surtout, quand plus que le don à l’autre elle vise le rachat de soi.
On peut rêver maintenant d’un coeur bonifié car épuré. Qui n’aurait rien à prouver, rien à réparer. De nos émois ce coeur resterait inondé, mais la raison serait au sec.
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Dans la nuit du 29 au 30 novembre 1626, le comte Ernst de Mansfeld (1580-1626) meurt à Rakovica, petit village non loin de Sarajevo, dans des circonstances apparemment particulières. La mémoire en sera perpétuée durant des siècles, puis réceptionnée et utilisée dans l’art et la culture populaire, jusqu’à être instrumentalisée par la propagande au service de la nouvelle Allemagne hitlérienne.
Né à Luxembourg en 1580, le jeune Ernst, un des trois enfants illégitimes du comte Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604), gouverneur du duché de Luxembourg, et d’Anne de Bentzerath, est élevé à la dure par son père dans le château «La Fontaine» à Clausen. Légitimé avec son frère et sa soeur par un acte du roi d’Espagne Philippe II en 1591, Ernst suit son demi-frère aîné Charles de Mansfeld (1545-1595) au service de l’empereur pour faire la guerre aux Ottomans. Après le décès de Charles en Hongrie, son jeune demi-frère reste sur place dans l’armée impériale jusqu’en 1604.
Lors du procès relatif à l’héritage de son père, il s’allie avec la veuve de Charles en lui cédant ses droits. La somme reçue en contrepartie lui permet probablement de s’acquitter de la taxe exigée pour rendre sa légitimation effective. A partir de 1607, Ernst porte le titre de comte de Mansfeld.
Après une carrière militaire au service des Habsbourg émaillée d’incidents et de déceptions, le jeune Mansfeld passe à l’ennemi en 1610 pour entamer une nouvelle vie professionnelle de mercenaire et d’entrepreneur de guerre au service de la cause protestante. Il se bat entre autres pour les intérêts de l’électeur du Palatinat, gendre du roi d’Angleterre, en Bohême et dans le Haut-Palatinat. Après avoir ravagé l’Alsace, il se met au service des Provinces-Unies. Ernst se déplace ensuite en France et en Angleterre pour affaires et recrute une armée au service des rois de ces deux pays. Battu par Wallenstein à Dessau en avril 1626, Mansfeld doit quitter les restes de son armée en Hongrie. Alors qu’il veut se rendre à Venise, il meurt en Bosnie, probablement victime d’une tuberculose. Quelques heures avant sa mort, il dicte son testament militaire, qu’il n’a plus la force de signer. Il aurait été inhumé en territoire vénitien à Spalato.
Mansfeld a été créé marquis de Castel-Nuovo et Buttigliera en 1619 par le duc de Savoie
Une vie aventureuse