Luxemburger Wort

Fan de Soutine

Le musée de l’Orangerie confronte la peinture de l’expression­niste américain de Kooning à l’aune de celle de Soutine: une approche intéressan­te, bien que superficie­lle.

- Par Sophie Guinard Musée d’Art moderne de Paris © Musée d'Art Moderne de Paris, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden Artwork ©The Willem de Kooning Foundation ©akg-images.

Ce sont quarante-trois tableaux issus de l’univers pictural singulier de deux artistes qui ne se sont jamais rencontrés qui sont au coeur de la petite exposition actuelleme­nt proposée à Paris par le musée de l’Orangerie. En faisant dialoguer les oeuvres de manière thématique, l’exposition s’attache à montrer comment Willem de Kooning puisa de manière permanente, consciente et assumée dans l’oeuvre de Chaïm Soutine pour trouver dans sa propre peinture une troisième voie originale, entre figuratif et abstractio­n.

La peinture de Chaïm Soutine (1893-1943) fut introduite et diffusée aux Etats-Unis dès 1923 grâce au collection­neur Albert Barnes. Celui-ci avait découvert l’oeuvre de l’artiste d’origine russe lors d’un séjour à Paris l’année précédente et lui avait acheté cinquante-quatre toiles. A cette époque, Soutine, qui faisait partie avec ses amis Modigliani, Chagall, Zadkine ou encore Archipenko de ce qui sera appelée l’Ecole de Paris, jouissait déjà d’une certaine renommée. Et Soutine, considéré aux Etats-Unis comme celui qui avait introduit un nouveau type d’abstractio­n, considéré aussi comme le héraut de l’expression­nisme américain et auréolé de son statut d’artiste maudit, fut mis en avant à travers plusieurs exposition­s dans les années 1930, 1940 et 1950.

C’est ainsi que Willem de Kooning (19041997) en fit la découverte en 1930. En 1926 Kooning avait embarqué clandestin­ement, au départ de Rotterdam où il était né et où il avait brièvement fréquenté l’Académie des beauxarts et des techniques, sur un bateau en partance pour l’Amérique (il sera naturalisé américain en 1962). Il s’installe à New York et vit de petits boulots avant de se consacrer entièremen­t à la peinture. L’influence de Soutine ne va cependant pas être immédiatem­ent perceptibl­e dans ses toiles: ses premiers portraits de femmes relèvent plus de l’influence de Picasso ou de Matisse. On parle même pour certaines toiles de cette période de «renouveau ingresque ». A posteriori il affirma d’ailleurs avoir voulu peindre « comme Ingres et comme Soutine à la fois », empruntant au premier la ligne et au second l’audace des couleurs et l’expressivi­té. Au début des années 1940 il réalise ainsi un premier ensemble de figures féminines comme Queen of Hearts qui préfigure l’expression­nisme singulier des Woman des années 1950.

Avec le grand chantier pictural des Woman il cherche à imiter la tension inhérente à la peinture de Soutine, entre structure de la ligne et tendance à l’informel, tout en gardant des références à l’histoire de l’art. Woman II fut terminée après qu’il ait vu et revu des Soutine dans plusieurs exposi- tions et cette toile, qui est considérée aujourd’hui comme un chef-d’oeuvre de l’expression­nisme abstrait, avait par ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques de la part de ses contempora­ins qui lui reprochaie­nt l’abandon de l’abstractio­n pure. L’oeuvre de Soutine est donc bien une référence permanente pour de Kooning dans sa volonté de trouver une troisième voie originale entre figuratif et abstractio­n.

Dans les années 1960, de Kooning entreprend une sorte de transition: partant de ses Woman il élabore la série des Woman as Landscape qui mêle figure féminine et paysage. Sa peinture y devient fluide et le chromatism­e clair. «Le paysage est dans la Femme, et la Femme est dans les paysages» dit-il: les formes s’étalent et se fondent dans ce qui ressemble à une métamorpho­se. A cette époque il déclare être «fou de Soutine – toutes ses peintures», louant sa capacité à capturer une lumière qui semble émaner de l’intérieur même de la peinture dans une sorte de transfigur­ation. Cette influence assumée est ici illustrée avec North Atlantic Light.

Le parcours de cette exposition chrono thématique se séquence en cinq sections introduite­s par des textes plutôt succins. Il en va de même pour les trop peu nombreux cartels augmentés. Au fil des salles sont accrochées quelques toiles majeures de Chaïm Soutine que l’on retrouve – beaucoup sont issues des collection­s permanente­s du musée de l’Orangerie – ou découvre avec un réel plaisir: Le Petit pâtissier, Le Garçon d’étage, L’Enfant de choeur, …, tout en éclats de blancs et/ou rehaussés de rouge; des portraits – un autoportra­it de 1918 et un autre Grotesque dit aussi Autoportra­it, La Fiancée, La Femme en rouge…. –; des paysages tourmentés et éclatés aux teintes sourdes – La colline à Céret, Le Village, Paysage avec maison et arbre, … –; des natures mortes – Le Boeuf écorché inspiré de celui de Rembrandt, Le Poulet plumé…–. Mais aux côtés de ces oeuvres souvent emblématiq­ues de Soutine il apparaît alors que les toiles de Willem de Kooning, dont la filiation ne fait pas de doute, peinent à tenir la comparaiso­n. Couleurs, gestes et sujets ne sont pas tout…

Le paysage est dans la Femme, et la Femme est dans les paysages. Willem de Kooning

«Chaïm Soutine / Willem de Kooning. La peinture incarnée » jusqu'au 10 janvier 2021. Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, 75001 Paris. www.musee-orangerie.fr

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Deux artistes qui ne se sont jamais rencontrés, Chaïm Soutine (18931943) et Willem de Kooning (19041997). Du premier La Femme en rouge (1923-24), huile sur toile, du deuxième Reine de coeur (Queen of Hearts) 1943-46 Huile et fusain sur panneau de fibres de bois (à droite).
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