Brigands et ogres
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Ce sera Saint-Nicolas qui ouvrira bientôt le bal des festivités de fin d’année. Espérons que l’homme barbu à la mitre rouge aura dans sa hotte non seulement des jouets, mais aussi des livres, peut-être des albums du dessinateur alsacien Tomi Ungerer qui aurait eu le 27 novembre de cette année 90 ans. Dans ce numéro de la «Warte», je vous parle de l’enfance alsacienne de cet artiste, entre France et Allemagne, de sa vie artistique, entre albums pour enfants et dessins érotiques, et bien sûr de son engagement pour toutes les bonnes causes.
En tant que Strasbourgeois, Tomi Ungerer était un fervent défenseur de l’Europe. Il a fait des dessins pour illustrer la cause européenne, et un jour il a dit: «Européens, éclairez-moi! Je cherche dans la nuit. Les étoiles du drapeau sont un beau symbole, encore plus pertinent que je le pensais. Le problème, c’est que l’Europe d’aujourd’hui donne souvent l’impression de n’éclairer son chemin qu’à la bougie. On ne voit guère clair et guère loin avec des bougies. C’est peut-être pour cela que les Européens confondent parfois obscurité et obscurantisme.»
Et justement, pour qu’un jour nos enfants puissent combattre cet obscurantisme et ramener la lumière dans l’obscurité qui les entoure, on ne peut que les encourager à lire les albums de Tomi Ungerer. Conquis par l’underground new-yorkais, l’artiste a pu développer dans ses livres son caractère corrosif et subversif, son non-conformisme et son esprit avant-gardiste. Feuilletons d’abord «Les Trois Brigands»1, son livre le plus connu. Ces trois malfrats «faisaient peur à tout le monde, lorsqu’ils apparaissaient, les femmes s’évanouissaient de frayeur, les chiens filaient ventre à terre, et les hommes les plus courageux prenaient eux-mêmes la fuite». Un jour, «ils attaquèrent une voiture où il n’y avait qu’un seul voyageur. Comme il n’y avait rien d’autre à prendre que Tiffany, ils l’emportèrent précieusement dans leur caverne.» On aurait pu penser au pire, mais c’est curieusement la petite orpheline Tiffany qui prend le dessus et qui arrive à faire de ces trois méchants des bienfaiteurs de l’humanité. Ce livre traite une ribambelle de thèmes universels tels que le bien et le mal, la méchanceté, la générosité, le don, l’abandon, l’adoption, l’éducation, la maltraitance, la tristesse, la solitude...
«Les enfants n’ont pas besoin de livres pour enfants, mais d’histoires bien racontées», disait Tomi Ungerer et
«si j’ai conçu des livres d’enfants, c’était d’une part pour amuser l’enfant que je suis, et d’autre part pour choquer, pour faire sauter à la dynamique (sic) les tabous, mettre les normes à l’envers: brigands et ogres convertis, animaux de réputation contestable réhabilités... Ce sont des livres subversifs, néanmoins positifs».
Finissons par un extrait du livre «Otto»2 qui donne des frissons. C’est l’histoire émouvante et révoltante à la fois qui fait comprendre à chaque enfant les horreurs et l’absurdité de la guerre. Otto, c’est un ours en peluche et aussi le narrateur de cette histoire: «Soudain un soldat avec un visage très sombre s’arrêta devant moi et me regarda, l’air saisi. Il me souleva. A cet instant précis, je sentis une douleur fulgurante me traverser le corps. Le soldat, qui me tenait contre sa poitrine, s’effondra en gémissant. Nous avions été touchés par la même balle.» mt
«Les trois brigands», 1962
«Otto, autobiographie d’un ours en peluche», 1999