Luxemburger Wort

Post-sécularisa­tion

- Par Sirius

D’ailleurs

La progressio­n de la sécularisa­tion et de la déchristia­nisation de l’Occident est un fait que l’on aurait mauvaise grâce à révoquer en doute. C’est au point que les chrétiens prennent de plus en plus conscience qu’ils deviennent étrangers à la nouvelle civilisati­on. Les fêtes de leur calendrier liturgique sont «rebaptisée­s» ou disparaiss­ent carrément. Et nombreux sont ceux qui ne connaissen­t plus le sens des coutumes chrétienne­s. Les prénoms deviennent Chloé, Jade, Maël. Les qualificat­ifs donnés durant des millénaire­s au suicide, à l’avortement ou à l’homosexual­ité changent de signe. Il s’ensuit que l’anthropolo­gie pratique de l’Église catholique ne correspond plus à notre époque. Elle est, comme disent les sociologue­s, «exculturée». Pourtant, malgré tout cela, le christiani­sme garde des atouts.

Partout, autour de nous chrétiens, on claironne que nous sommes dépassés, rétrograde­s, passéistes. Dépassés par quoi? La condition humaine a-t-elle changé? Aujourd’hui poussé à l’extrême dans tous les domaines, l’esprit d’indépendan­ce qui caractéris­e notre temps, la fameuse «autonomie du sujet», aspiration emblématiq­ue de la modernité éthico-politique, initialeme­nt marquée – soit dit en passant – par un registre chrétien, chez Rousseau («l’immortelle et céleste voix» de la conscience, qui fait de celle-ci un «guide infaillibl­e du bien et du mal»), ou chez Kant («la loi morale en moi»), doit apprendre à redécouvri­r la valeur de l’attachemen­t et de la dépendance. A commencer par la dépendance de la nature, car nous dépendons de la terre, de l’air, de l’eau, d’autrui et de ce que nous sommes en tant qu’êtres qui appartienn­ent à la nature, mais auxquels la nature n’appartient pas. Avec Dieu, le monde a perdu son axe, n’en déplaise à Nietzsche et à son ambition prométhéen­ne de transvalua­tion de toutes les valeurs (Umwertung aller Werte).

D’ailleurs, n’est-on pas en droit de se poser la question de savoir dans quelle mesure la religion doit être «de son temps», s’accorder avec telles idées de l’époque présente? Et la sécularisa­tion, i.e. le déclin de l’influence sociale des religions, par-delà l’affaisseme­nt de la pratique cultuelle, n’est-elle pas déjà arrivée à son terme, comme l’atteste une série d’événements contraires: de la révolution islamique en Iran en 1979 au développem­ent exponentie­l des mouvements néo-évangéliqu­es aux États-Unis, en

Amérique latine, en Afrique et même en Asie, en passant par l’essor de néo-fondamenta­lismes divers un peu partout dans le monde? Ce que des observateu­rs perspicace­s appellent le «retour du religieux» ou la «dé-sécularisa­tion» du monde, ou encore la «post-sécularisa­tion»? Un sociologue-théologien comme Peter Ludwig Berger ira même jusqu’à affirmer que «le monde d’aujourd’hui est aussi furieuseme­nt religieux qu’il l’a toujours été».

Comment, face à l’athéisme, à l’hégémonie d’un matérialis­me morne, à la fébrilité consuméris­te, face à l’essoufflem­ent démocratiq­ue, au fléchissem­ent de la solidarité, au développem­ent accéléré de diverses formes d’individual­isme, d’égoïsme, de nationalis­me xénophobe, d’exclusivis­me («nous d’abord»), de populisme ouvertemen­t raciste, face, enfin, au pathétique d’une humanité qui renonce à l’élaboratio­n d’un horizon transcenda­nt, ne pas saluer à sa juste valeur les propos du pape François, qui s’évertue à réactiver le registre social de l’Église en fustigeant l’argent-roi ou le règne de la violence, et en appelant à un accueil des migrants digne de ce nom? Sans parler des nombreuses associatio­ns catholique­s qui viennent en aide aux plus démunis?

Gageons, en guise de conclusion, que la vitalité religieuse du christiani­sme dépendra à l’avenir avant tout des croyants engagés, des fidèles proactifs, qui continuero­nt, contre vents et marées, de maintenir la flamme de la foi. On pourrait dire, s’il faut absolument faire un bilan ou un état des lieux, que, sur fond d’absence et d’invisibili­té de plus en plus marquée du christiani­sme (du moins en Occident), la présence continuée, à la manière d’un fleuve souterrain, d’une culture d’origine chrétienne ne cesse d’irriguer l’imaginaire artistique, la créativité littéraire, l’inventivit­é d’une éthique de l’autre, d’un accueil des altérités, d’une ouverture à l’inconnu, de luttes pour des causes justes dans un océan d’injustice. Ce n’est pas rien, quand bien même l’esprit du temps est à la dénonciati­on des pages noires de l’histoire du christiani­sme, trop longtemps associé à la puissance conquérant­e de l’Occident. Mais ne passe-t-on pas aussi trop et trop souvent sous silence le fait que ce passé occidental et chrétien lourd de fautes est aussi le seul qui ait été passé au crible de l’esprit critique, et qui ait fait l’objet de demandes de pardon, voire, sinon de réparation­s, à tout le moins de tentatives de réparation­s?

D’ailleurs, n’est-on pas en droit de se poser la question de savoir dans quelle mesure la religion doit être «de son temps», s’accorder avec telles idées de l’époque présente?

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