Autres regards sur un monde chamboulé
L’exposition «World Press Photo» au Centre Neumünster veut documenter le présent tout en défendant la liberté de la presse
Roza Luzia Lunardi a 85 ans, elle vit dans un centre de soins à Saõ Paulo au Brésil. Le 5 août dernier, protégée par une housse en plastique, elle reçoit, après tant de mois de distanciation, enfin un premier câlin de son infirmière Adriana Silva da Costa. L’image (ci-contre), simple au premier regard, est émouvante et pleine de sens. Le Danois Mads Nissen a été récompensé pour ce cliché du prestigieux prix «World Press Photo of the Year 2021».
Marika Cukrowski, la curatrice de l’exposition «World Press Photo» qui se tient actuellement au Centre Neimënster, commente: «Cette photo montre la capacité de l’homme à s’adapter à une situation bien particulière. On distingue un sourire sur le visage de la vieille dame. Cet instantané dégage beaucoup d’émotions. Le message, au-delà de la crise sanitaire, est universel: il ne faut jamais perdre espoir.»
Alors que l’exposition «World Press Photo» présentait l’année passée des prises de vues datant de 2019, l’exposition actuelle ne peut faire abstraction de la crise sanitaire, qui chamboule le monde. Les photographies exposées au Grund ont toutes été prises en 2020, une année marquée donc par la Covid 19.
La situation dans laquelle nous vivons depuis tant de mois est bien présente sous la verrière du Centre Neimënster, qui cette année offre un cadre protégé à l’exposition. Mais ce qui frappe le visiteur, c’est l’éclairage différent et surtout nouveau de ces photographes qui sillonnent la planète pour témoigner d’un monde fait de crises, de conflits, de haines et de souffrances.
Contenu et esthétique
Les photos présentées sont le résultat d’une stricte sélection. Le concours annuel «World Press Photo» est réservé aux photographes professionnels, le plus souvent journalistes. Pour l’édition 2021, 74.470 images de 4.315 photographes de 130 pays ont été soumises à un jury, qui finalement n’en a retenu que 45. Marika Cukrowski explique la procédure: «Le côté visuel, le contenu mais aussi le message sont pris en compte pour déterminer les gagnants. Chaque photo est accompagnée d’un texte explicatif.» Ainsi, en plus des questions techniques, le contenu, l’esthétique et les idées à transmettre sont primordiales.
Le but est de raconter des histoires, de parler de sujets souvent méconnus du grand public. Et ne
Deux photographes, deux univers et deux messages: avec «The First Embrace», Mads Nissen évoque la crise sanitaire au Brésil (haut); «Emancipation Memorial Debate», d'Evelyn Hockstein revient sur le mouvement Black Lives Matter (ci-contre). pas se borner à mettre en image une actualité d’un jour brûlante pour privilégier les échanges et débats d’idées. Face au fast-food journalistique, au journalisme d’un jour, jetable, au déferlement d’images rapides, entre autre sur les réseaux sociaux, le concours et l’exposition optent pour un «long-time reading». La commissaire insiste: «Il faut se donner le temps de découvrir ce monde d’images».
A l’heure où les fake news sont d’actualité, un contrôle supplémentaire a été mis en place: la véracité des propos, les manipulations sont contrôlées, assure la curatrice.
De la Suisse à l’Indonésie
L’exposition est divisée en plusieurs chapitres: nature, informations générales, sujets d’actualité, portraits, projets longs, sujets contemporains, sports .... De la Suisse à l’Indonésie, en passant par les Etats-Unis, le Brésil, La France... tous les continents sont couverts. Une ubiquité géographique obligatoire pour les organisateurs du concours, au même titre que l’équilibre femmes-hommes dans le choix de lauréats, rappelle Marika Cukrowski. Chaque catégorie défend une ligne de conduite propre. Face aux conflits et guerres omniprésentes, figurent des mises en situation d'hommes, femmes et enfants dans leur vie quotidienne, souvent très loin des projecteurs. Sans oublier de nombreux paysages à la beauté trompeuse.
«World Press Photo» est une invitation à parcourir le monde au travers d’une série d’inattendus. La manifestation entend par ailleurs défendre la liberté de la presse. L’exposition, organisée depuis 1995, sillonne elle aussi le monde, comme les photographes. «Notre but est de la montrer dans le plus grand nombre de villes et pays», note la curatrice. Même là où le regard de la presse est vu d’un mauvais oeil? Marika Cukrowski, bien décidée, est catégorique: «Un refus peut toujours arriver. Pour nous, il est hors de question de retirer l’une ou l’autre photographie pour pouvoir présenter notre exposition dans un lieu donné.»
Pour lutter contre les fake news, la véracité des propos, les manipulations sont contrôlées. Marika Cukrowski, curatrice
Exposition «World Press Photo» au Centre Neimënster jusqu’au 20 décembre, tous les jours de 10-18 heures. Entrée libre. Infos:
www.worldpressphoto.org