Une révolution culturelle
La décision de fermer le secteur culturel belge fait l'effet d'une bombe
Le refus du secteur culturel belge de se reconfiner prend l’allure d’un mouvement de désobéissance civile. Un peu partout, les salles de cinéma et de théâtre continuent à proposer leurs spectacles au public, bravant ainsi l’ordre de refermer leurs portes dès ce dimanche. La police a laissé faire en différents endroits.
Dimanche, les cinémas bruxellois des Galeries, le Kinograph, le Palace et le Vendôme ont décidé de ne pas respecter la consigne imposée par le dernier Comité de concertation, l'organe chargé d’impulser les principales mesures anti-covid. La porte-parole de la zone de police Bruxelles-Ixelles, Ilse Van de keere, a fait savoir qu’ils ne seraient pas sanctionnés. «Nous n’avons pas le temps...», a-t-elle rétorqué.
Besoin de nourriture intellectuelle Plusieurs manifestations ont eu lieu ces derniers jours à Bruxelles et en Wallonie. Dans la capitale, 5 000 professionnels du secteur et sympathisants ont protesté hier au Mont des Arts. A Liège, le cinéma Sauvenière a reçu le soutien de centaines de personnes venues dire l'importance de la culture. A Saint-Josse, le théâtre Le Public a ouvert sa salle comme si de rien n’était. «Nous avons autant besoin de nourriture intellectuelle que de nourriture alimentaire», expliquait dimanche une spectatrice. Dans le Brabant wallon, un cirque qui aurait dû fermer son chapiteau annonçait des représentations selon un rythme inchangé, durant tout le mois de janvier.
La fermeture du secteur culturel est dénoncée à tous les niveaux. Des directeurs de théâtres, de cirques et de cinémas, jugent «inepte» le reconfinement visant leurs activités et «sans fondement scientifique». Paradoxalement, ils sont rejoints par plusieurs personnalités politiques de premier rang, dont certaines ont participé au dernier Comité de concertation. A la Chambre, le premier ministre Alexander De Croo a toutefois tenu bon face aux critiques venant de la majorité comme de l'opposition, déclarant que «la décision du Codeco (Comité de concertation) se base à 100 % sur les avis scientifiques. On sait déjà que le nombre de contaminations va augmenter». Selon les experts, le variant omicron devrait être majoritaire à 90 % d'ici la Saint-Sylvestre.
Mais les représentants du secteur culturel n'en démordent pas. Ils estiment avoir mis en place tout ce qui est nécessaire pour que le virus ne circule pas dans les salles. Ils ont respecté les jauges, disentils, une disposition synonyme de manque à gagner. Ils ont investi beaucoup d’argent dans la ventilation. Ils n’ont ouvert leurs portes qu’aux titulaires d’un pass sanitaire et aux personnes testées négatives. Et surtout, à les entendre, aucune étude scientifique sérieuse ne démontre que les cinémas, les cirques ou les théâtres constitueraient un foyer de contamination…
Entretemps, les experts qui conseillent le gouvernement ont eux aussi fait leur révolution. Le virologue et porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid, Yves Van Laethem, a assuré dans la presse n’avoir jamais demandé une telle mesure. L’épidémiologiste Marius Gilbert (ULB) s’est exprimé en larmes au micro de la chaîne publique RTBF: «La rupture de confiance est totale. Elle est totale à un moment où, justement, on en a besoin (de cette confiance) parce qu’omicron est à nos portes.» Et de continuer: «Je suis ému parce que je ne pense pas que (les professionnels de la culture) se rendent compte du marchandage politique qui a lieu lors des Codeco.»
Le vin chaud contre la culture
Ce «marchandage politique» censé aboutir à un point d’équilibre entre les partis gouvernementaux reste à démontrer. Une rumeur veut que la culture ait été sacrifiée parce qu’il fallait un pendant à la décision de contraindre le football professionnel à jouer sans public. Mais au-delà des «on dit», il est clair que fermer de nouveau les théâtres et les cinémas interpelle alors que les trains et les trams sont bondés certains jours et que le télétravail n’est observé que partiellement. «Quand on voit que les marchés de Noël restent ouverts, on peut dire que le vin chaud l'a emporté sur la culture», a commenté le virologue flamand Marc Van Ranst.
Tous attendent que le gouvernement De Croo fasse marche arrière. Mais le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke n’a pas l’intention de s’en laisser conter. «Si la situation le permet, après le prochain Comité de concertation, début janvier, nous passerons à un régime plus nuancé», affirme-t-il. Mais «si les chiffres s’aggravent, d’autres secteurs devront fermer. C’est une chose terrible à dire. Nous sommes confrontés à un danger qui est largement inconnu...»