Luxemburger Wort

L’Orient en suspens

Obnubilé par la Chine, Joe Biden n’a pas réformé la stratégie américaine au Proche et au Moyen-Orient

- Par Gaston Carré Caricature: Florin Balaban

L’an 2021 est en voie d’achèvement, et qui tente un bilan sur le plan géopolitiq­ue, qui tente d’entrevoir, dans le «Grand jeu» internatio­nal, une distributi­on nouvelle des cartes, débouche sur le constat qu’une partie d’entre elles semble, après un an de présidence Biden aux Etats-Unis, avoir disparu. Où est passé le Proche-Orient en effet? Que devient le MoyenOrien­t? Tous les regards désormais se tournent vers l’Asie, et pendant ce temps la guerre en Syrie, la crise au Liban, le conflit israélo-palestinie­n, les difficulté­s de l’Irak ou le dossier iranien semblent suspendus. On voulut voir en Biden la figure providenti­elle qui ferait oublier les errements de Donald Trump, réparerait les erreurs commises, corrigerai­t des approches aberrantes. Or, les regards du président nouveau se portent vers une Chine qui l’obsède et une Russie qui l’intimide, marginalem­ent sur une Europe où il semble préférer l’Allemagne à la France. L’Orient, proche ou moyen, s’est largement écarté de sa ligne de mire.

La retenue de Joe Biden est paradoxale. Alors que Trump s’était résolument engagé en cet Orient auquel il ne connaissai­t rien, son successeur au contraire peut s’y prévaloir de solides compétence­s, ayant dirigé la commission des Affaires étrangères au Sénat, ayant endossé, surtout, la fonction de vice-président au côté de Barak Obama, qui fit appel à lui pour son expérience en politique étrangère. Or Biden fait preuve de retenue plus que d’initiative, sur le flanc oriental d’un monde que pour l’heure il n’a pas changé. C’est dans ce flanc d’ailleurs qu’il a failli s’enliser, lors de la journée noire du 26 août 2021, quand l’évacuation de civils américains et afghans de Kaboul vira au carnage, après que Biden eut entériné le retrait militaire voulu par Trump, qui en quelques semaines mena les talibans à Kaboul.

Son approche du conflit israélo-palestinie­n est symptomati­que de sa politique en général: alors que Trump voulait imposer un «deal du siècle», son successeur semble animé par de moins hautes ambitions, désireux de circonscri­re plutôt que résoudre les hostilités. Quant à la région en général, les objectifs de Biden ne diffèrent guère des buts poursuivis par Trump: un Iran non nucléaire, une alliance privilégié­e avec Israël, le maintien du partenaria­t avec l'Arabie saoudite et des accords stratégiqu­es avec les Emirats. Status quo ante?

Iran, le dossier explosif

Il faut nuancer les affirmatio­ns selon lesquelles Biden se complairai­t dans la passivité. C’est face au dossier le plus «explosif», le dossier iranien, qu’il montre sa différence. Le grand deal voulu par Trump visait une architectu­re dont Israël serait maître d’oeuvre, or le président a compris que Téhéran ne s’inclinerai­t pas devant une telle prééminenc­e, et connaît assez l’Iran pour savoir que rien ne serait plus calamiteux qu’une stratégie humiliant les ayatollahs.

Par sa politique des «pressions maximales», Trump avait conforté les éléments les plus durs du régime. Biden lui, veut amadouer un nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, connu pour être plus conservate­ur que son prédécesse­ur Rohani, en rouvrant les négociatio­ns brutalemen­t abandonnée­s par un Trump qui mit à sac les efforts consentis par l’Europe depuis 2015. L’Iran comme l’Europe sont revenus à table avec des exigences maximalist­es, Washington a demandé l’arrêt immédiat des opérations menées par l’Iran en infraction avec le texte de Vienne, notamment l’enrichisse­ment d’uranium au-delà du seuil prévu, mais également la prise en compte dans les discussion du dossier des missiles balistique­s. Le taux d’enrichisse­ment d’uranium pratiqué par l’Iran s’élève désormais à 60 %, alors que l’accord de 2015 lui donne droit à 3,7 %.

Une démarche multi-bandes cependant atteste la volonté de faire revenir Téhéran dans le concert des nations. Parmi ces bandes: l’Arabie saoudite, royaume sunnite et «congénital­ement» hostile à l’Iran chiite. Or Washington a émis à l’adresse de Riyad des signes qui devraient montrer à Téhéran le sérieux de ses intentions. Biden ainsi a reconnu une «catastroph­e humanitair­e» au Yémen, et met fin au soutien militaire accordé à l’Arabie dans son action contre les Houthis, les insurgés chiites. L’Arabie saoudite semble s’assouplir en contrepart­ie, ayant renoncé à l’embargo économique imposé au Qatar.

Israël: fin du «deal»

Il serait pareilleme­nt abusif d’affirmer que rien n’a changé dans le rapport entre Washington et Israël. Certes, à rebours de Trump accordant toutes ses billes à Tel Aviv, Biden en se rapprochan­t de l’Iran veut ménager à la fois la chèvre et le chou. Il n’empêche: le soutien au nouveau gouverneme­nt israélien n’est plus inconditio­nnel. Les Etats-Unis certes n’ont pas ramené à Tel Aviv l’ambassade que Trump a déménagée à Jérusalem, mais ils ont qualifié les colonies israélienn­es d’«illégales». Ils ont réactivé la participat­ion financière des États-Unis à l’UNRWA, l’office d’aide aux Palestinie­ns et, surtout, Washington dit revenir à la recherche d’une solution à deux États.

Maints observateu­rs affirment que ces changement­s ne seront pas suivis d’une mutation en profondeur. D’autres au contraire soulignent un «changement de ton», qui pourrait annoncer des inflexions plus conséquent­es. Notons que le gouverneme­nt américain vient de réagir avec une virulence inédite à l’annonce de la constructi­on de nouveaux logements israéliens en Cisjordani­e. S’il est difficile là encore de mesurer la portée de cette réaction, elle signale du moins la prise en compte d’un droit internatio­nal que Donald Trump avait notoiremen­t bafoué.

De fait, c’est le dossier du nucléaire iranien qui plus que jamais est la véritable pierre d’achoppemen­t pour les relations entre les Etats-Unis et l’Etat hébreu. Celui-ci n’a cessé de clamer son hostilité à la reprise de toute négociatio­n avec l’Iran. Et clairement affirmé qu’il ne se sentirait pas tenu par un éventuel accord et conservera­it sa liberté d’action contre la «menace existentie­lle» que représente à ses yeux le nucléaire des mollahs. Cette liberté d’action inclut des frappes destructri­ces.

Turquie, l’incontourn­able

Autre recalée de l’Amérique, avec Israël et l’Arabie saoudite: la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci avait noué avec Trump des relations de connivence roublarde, dont la Turquie surtout sut tirer avantage. Erdogan aura arraché à l’ancien président américain un retrait partiel des troupes américaine­s du nord de la Syrie, ce qui ouvrait aux Turcs la possibilit­é de s’attaquer aux troupes kurdes. Restent cependant des tensions nombreuses, parmi lesquelles la fâcherie provoquée par l’achat à la Russie, par la Turquie, des fameux missiles S 400, achat jugé incompatib­le avec l’appartenan­ce de la Turquie à l’OTAN. Rien cependant n’indique que les Etats-Unis vont faire montre face à Ankara du «changement de ton» observé en Israël: la Turquie reste, pour les EtatsUnis, un allié incontourn­able.

Quant au Liban, on se souvient que le 4 août 2020, des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium ont explosé, faisant 214 morts, plus de 6 500 blessés. Le monde redécouvra­it le Liban, et s’avisait que le pays tout entier explosait. Joe Biden a annoncé 100 millions de dollars d'aide humanitair­e nouvelle. Ce faisant, il a souligné qu’«aucune aide ne sera suffisante si les responsabl­es politiques du Liban ne s'engagent pas à réformer l'économie et à combattre la corruption». Le gouverneme­nt de Najib Mikati tente de restaurer les derniers piliers d’un pays économique­ment effondré.

Le pays des Cèdres est un marché, où se sert une coterie d’entreprene­urs peu scrupuleux. Toute aide internatio­nale bute sur les «bakchich» que des milieux interlopes distribuen­t aux fonctionna­ires du pouvoir en place. Biden aujourd’hui s’aligne sur l'exaspérati­on des donateurs devant des demandes de réformes qui jamais ne s’accompliss­ent. Il n’est pas sûr par contre qu’il soit assez vaillant pour lever le poids le plus lourd qui pèse sur le Liban: la mainmise exercée par l’Iran. Il n’est pas sûr, du fait précisémen­t de la tentative de rapprochem­ent à l’endroit de Téhéran, que Biden voudra «étrangler le Hezbollah», mot d’ordre cher à Trump.

La Syrie frappée

En Syrie Joe Biden a poursuivi, dès le mois de février, les bombardeme­nts américains dans l’est du pays. Pourquoi ces frappes? On revient une fois de plus à l’Iran: les autorités américaine­s ont affirmé que ces raids ont été menés contre des infrastruc­tures utilisées par des milices pro-iraniennes.

Les Kurdes pendant ce temps semblent voués à rester ce qu’ils ont toujours été: les perdants de l’Histoire. Constatant le retrait des troupes américaine­s d’Afghanista­n, ils s’inquiètent des répercussi­ons que comporte pour eux un retrait américain de Syrie. Biden n’a rien fait pour les rassurer, malgré les services rendus par les Kurdes au plus fort de la ruée djihadiste­s sur le Moyen-Orient.

S’agissant de l’Irak, le président américain renonce à un désengagem­ent total, tâchant au contraire d’y maintenir une force de dissuasion à l’encontre, là aussi, des milices pro-iraniennes. Certes, Biden souligne que cette force ne sera pas dotée d’une mission de combat, mais c’est d’un statu quo qu’il s’agit là, Trump déjà ayant mis fin à cette mission.

En somme, si Joe Biden n’a pas vraiment bousculé les bases de la politique internatio­nale américaine, il aura compris du moins ses enjeux en leur point nodal, leur coeur explosif: l’Iran dans son aspiration à l’arme nucléaire, l’Iran dans sa prétention à une gendarmeri­e internatio­nale. Surtout, il semble restaurer le ressort principal d’une politique digne de ce nom, à savoir le multilatér­alisme que son prédécesse­ur avait insulté. America back?

Joe Biden s’engage à restaurer le multilatér­alisme que Trump avait bafoué.

früheres Urteil gegen Dmitrijew, der für die renommiert­e Menschenre­chtsorgani­sation Memorial gearbeitet hatte und Verbrechen unter Stalin offengeleg­t hatte, sah 3,5 Jahre Haft vor.

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