Une lecture plurielle
«Ödipus/Antigone» dans un premier temps au TNL, au Grand Théatre par la suite
Dans le contexte des représentations d’«Ödipus/Antigone» d’après Sophocle au Grand Théâtre à partir de jeudi, le Théâtre national du Luxembourg a présenté en matinée une lecture sur le même thème et avec les mêmes acteurs et actrices (Jacqueline Macaulay, Christian Clauss et Ulrich Kuhlmann), qui ont lu au total quinze extraits d’oeuvres littéraires, philosophiques et/ou psychanalytiques centrées sur les personnages d’OEdipe et d’Antigone. Un voyage de soixante-dix minutes destiné à se faire une idée de la manière dont deux archétypes de l’histoire de l’humanité ont été repris, modifiés, réinterprétés et compris par certains des plus grands écrivains, et ce à époques très différentes.
Installés avec force et sobriété devant un public venu nombreux assister à cette lecture pluritextuelle et transtemporelle, la comédienne Jacqueline Macaulay ainsi que les comédiens Christian Clauss et Ulrich Kuhlmann se sont livrés à un exercice de lecture (parfois croisée) d’un panel d’extraits (sélectionnés par Olivier Ortolani, dramaturge indépendant et conseiller artistique) – tous traduits en langue allemande s’ils n’étaient pas rédigés originellement dans la langue de Goethe – allant du XIVe siècle (avec l’écrivain florentin Giovanni Boccaccio et son «De mulieribus claris» – «Über berühmte Frauen») au deuxième tiers du XXe siècle avec le poète, dramaturge et directeur de théâtre allemand Heiner Müller, et sa pièce intitulée «Ödipus, Tyrann» (1967).
L’enjeu et le défi étaient de taille: il fallait captiver un public exigeant par la simple lecture oralisée – à une époque où cette approche traditionnelle est en perte de vitesse – d’extraits de nature et de contenu très différents. Pari réussi en raison de la présence scénique et de l’expressivité vocale de trois comédiens aux intonations et aux intentions artistiques certes différentes, mais qui s’appellent et se complètent.
Sous l’égide du metteur en scène et directeur du TNL Frank Hoffmann, l’approche chronologique et kaléidoscopique retenue pour ce format de lecture d’extraits est particulièrement pertinente dans la mesure où elle ouvre autant de portes qu’on ouvre sur le champ des possibles, autant de réécritures, de réinterprétations du mythe du roi thébain OEdipe (en grec ancien «Oidípous», «pieds enflés») et de sa fille Antigone (celle qui, étymologiquement, «s’oppose à sa famille») – mythe faisant partie du patrimoine de l’humanité autant que de l’imaginaire collectif.
Retours sur une fascination
Or, George Steiner écrivit dans son essai intitulé «Les Antigones» qu’«aucun inventaire des poèmes dans lesquels Antigone apparaît soit directement, soit en allusion, ne pourra jamais s’approcher de l’exhaustivité».
A examiner la liste des auteurs et des textes retenus pour cette lecture, l’on pourrait en dire autant d’OEdipe. De Brecht à Cocteau, de Hölderlin à Pasolini, en passant par Freud, Nietzsche, Eckermann, Rolland, Yourcenar, sans oublier Hochhuth, Logue, Fühmann, les personnages d’OEdipe et d’Antigone ont nourri et nourrissent encore l’univers imaginaire et artistique d’un grand nombre d’écrivains, de philosophes, d’artistes qui tous ont, par le redimensionnement du mythe, contribué à produire une vision personnelle d’une figure mythologique protéiforme, transfictionnelle, transhistorique et transcontextualisable – toutes ces caractéristiques pouvant être regroupées sous l’appellation de «ductibilité» (qui désigne entre autres la capacité d’un matériau à se déformer plastiquement sans se rompre) que Rose Duroux et Stéphanie Urdician (auteures de l’article «Antigone. Retours sur une fascination»), attribuent à Antigone.
En définitive, la puissance et la qualité des extraits sélectionnés font réfléchir notamment à la notion de personnage, à la fois descriptive et anhistorique, qui se trouve par conséquent investie de plusieurs dimensions telles que la trans-historicité/-fictionnalité/contextualisation assurant la transférabilité et la survie littéraire d’une oeuvre donnée.
Ces extraits sont également dotés de deux autres vertus: d’une part celle de donner envie de se replonger dans les oeuvres relatives à OEdipe et à Antigone; d’autre part, celle d’être impatient de découvrir la mise en scène de Frank Hoffmann d’«Ödipus/Antigone» au Grand-Théâtre ces 13, 14 et 15 janvier.
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