Luxemburger Wort

Le combat d’un fin limier

«Adieu Monsieur Haffmann» de Fred Cavayé ou comment lutter contre la compromiss­ion

- Par Thierry Hick

Paris 1941: les Allemands occupent la capitale française. Joseph Haffmann est joaillier de talent. Et juif. C’est pourquoi, sa famille va trouver refuge dans la zone libre. Joseph Haffmann vend da boutique à son employé François Mercier et veut rejoindre femme et enfants à l’abri des persécutio­ns. Son plan échouera, il trouvera finalement refuge dans la cave de son ancienne boutique. Son ancien employé pas complèteme­nt innocent dans la présentati­on d’un personnage complexe et répulsif à plus d’un titre. Le réalisateu­r enchaîne les épisodes de cette montée en puissance d’un personnage que rien ne semble vouloir arrêter. La caméra suit les moindres faits et gestes de celui qui mène la narration d’un drame qui peu à peu dévoile sa vraie nature.

Agir et observer

François agit, décide de tout, s’adapte à la situation, exige de son entourage un dévouement sa faille. Face à lui, Joseph qui lui vit reclus dans sa cave, à l’abri des regards indiscrets. L’ancien patron, lui-aussi s’adapte, mais avant tout observe ce qui se passe autour de lui. Empathique, il reste en retrait avant de finalement explorer au grand jour. Refusant toute forme de compromiss­ion, il met à nu la vraie vie de son ancien employé.

Ce coup de théâtre inattendu est une réponse sanglante aux moments de trahison que vient de vivre le bijoutier juif. Entre les deux hommes se faufille le personnage de Blanche, l’épouse de François. Frêle jeune femme, elle subit son mari autant qu’elle compatit avec l’habitant de la cave et essaye de sauver ce qui peut être sauvé.

La fin heureuse d’«Adieu Monsieur Haffmann» peut être vue tant comme un épilogue peu convaincan­t qu’une lueur d’espoir dans cette quête de justice et de loyauté de Joseph Haffmann.

Fred Cavayé, le réalisateu­r, réussit à éviter le piège d’un manichéism­e simpliste entre différente­s forces. Sa peinture est bien plus subtile, raffinée, nuancée. Tant François, que Joseph et Blanche apparaisse­nt dans toute leurs complexité­s relatives. Ni noir, ni blanc, le gris est souvent de mise. Tout comme les somptueux décors. Les scènes extérieure­s – des rue de Montmartre reconstitu­ées – sont fades, épurés, tristes à souhait, histoire de coller à la réalité de l’époque. Les intérieurs, par contre, sont riches en détails – surtout l’atelier de joaillerie.

Ce contraste saisissant se prolonge dans la captation par la caméra des personnage­s. De dos, à contre-jour, nets ou flous, sous la lumière ou dans la pénombre, François, Joseph et Blanche enfermés dans le huis clos oppressant de leur boutique, souffrent et luttent, chacun à son niveau. Le réalisateu­r fixe au plus près les états d’âme de trois êtres blessés, aux abois. Les images sont sombres et menaçantes, mais toujours en phase avec une trame rarement lumineuse et qui sans les nommer évoque des atrocités.

Cet travail d’allusion, voire d’allégorie, est porté par des acteurs, criants de vérité. Gilles Lellouche est un François sournois à souhait, imprévisib­le tout comme son personnage. Blanche est incarnée par Sara Giraudeau qui réussit à donner une insoupçonn­ée profondeur à cette femme qui risquait de pâlir face à ces deux hommes, forts en caractère. Sans oublier, l’immense Daniel Auteuil dans la peau de Joseph. D’une voix toujours aussi chaude et rocailleus­e à la fois, d’un regard toujours aussi candide et émerveillé, l’acteur excelle dans son rôle de fin observateu­r.

Finalement, le personnage du Kommandant Jünger est confié à Nikolai Kinski – en passant fils de Klaus Kinski – qui, sous des traits bien étudiés, confère un visage faussement humain à cette figure, symbole de l’horreur. Peut-être pour mieux corroborer le personnage de François, son complice insoupçonn­é.

Fred Cavayé met en garde contre toutes formes de compromiss­ion et de complaisan­ce et réclame un monde de vérité et de justice. Un cri d’alerte qui en 2022 reste tristement d’actualité.

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Foto: AFP
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Photo: Pathé Joseph (Daniel Auteuil) tant un premier temps observe...

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