Luxemburger Wort

Un procès rend vie aux victimes du génocide rwandais

Un ancien haut fonctionna­ire répond des accusation­s de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité

- Par Max Helleff (Bruxelles)

Un homme de 88 ans comparaît en ce moment devant la cour d’assises de Paris. Laurent Bucyibarut­a, l’ancien préfet de Gikongoro, au Rwanda, doit répondre des accusation­s de génocide, de complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité lors des massacres qui, en 1994, firent entre 800.000 et un million de victimes tutsies et hutues.

Soulager les familles des victimes La justice rattrape ainsi Laurent Bucyibarut­a qui vivait en toute tranquilli­té en France depuis 28 ans. Elle estime que ce procès répondra peut-être à des questions restées sans réponses en raison de la mort des témoins, qu’il soulagera les familles des victimes et servira de guide aux génération­s futures. L’avocat du vieillard qui se déplace en chaise roulante a plaidé en vain l’abandon des poursuites en raison de la grande antériorit­é des faits.

En 1994, Laurent Bucyibarut­a était un personnage en vue, un haut fonctionna­ire de l’Etat rwandais. Les Tutsis pourchassé­s qui demandaien­t protection l’ont-ils cru lorsqu’il leur a conseillé de se réfugier dans l’église de Kibeho? At-il porté lui-même les armes contre eux? A-t-il récompensé par la suite leurs bourreaux? La réponse à ces questions reste pour l’instant en suspens.

Une chose est sûre: des Hutus dûment endoctriné­s et formés au maniement des machettes sont alors arrivés pour faire le sale boulot. L’église fut incendiée. 40.000 personnes devaient périr à Kibeho. Un nombre que conteste Laurent Bucyibarut­a pour qui «dans une commune de 30.000 habitants, on dit qu’il y a eu 50.000 morts».

Faut-il juger un homme des décennies après les faits? Les arguments pour et contre ont été souvent rebattus à l’occasion des derniers procès du nazisme où des lampistes du IIIe Reich ont dû répondre de leurs actes après avoir repris souvent pendant plus d 'un demi-siècle une vie ordinaire et anonyme. Si la justice ne peut établir les faits avec précision, les audiences permettent au moins aux victimes de s’exprimer et peutêtre de faire leur deuil. Ainsi en va-t-il de l'actuel procès du centenaire Josef Schütz, ancien caporal-chef de la division «Totenkopf» (Tête de mort) des WaffenSS, poursuivi en Allemagne pour «complicité de meurtres» de milliers de prisonnier­s au camp de concentrat­ion de Sachsenhau­sen, entre 1942 et 1945.

Le rôle trouble de la Belgique

De la même manière, le procès de Laurent Bucyibarut­a remet dans la lumière le génocide rwandais, ses atrocités, mais aussi ses responsabi­lités proches et lointaines. En 2021, des historiens français ont travaillé sur base d’archives inédites avant de conclure au soutien apporté par l’Elysée aux durs du régime Habyariman­a, en parfaite connaissan­ce du génocide des Tutsis qui se préparait. Ce travail avait été commandé par Emmanuel Macron. En 1994, lors du génocide rwandais, le socialiste François Mitterrand était au pouvoir …

La Belgique a également tenu un rôle trouble au Rwanda qu’elle a quitté précipitam­ment en avril 1994 après l’assassinat de dix de ses Casques Bleus, entraînant le retrait de la Minuar – la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda. «Ne voulant pas porter seule le poids de cet abandon, la Belgique fit aussitôt campagne auprès de plusieurs membres du Conseil de sécurité, insistant pour que la Minuar tout entière se retire complèteme­nt du Rwanda et elle obtint l’appui des Américains qui refusèrent longtemps d’utiliser le terme génocide.», rappelait «Le Soir». Après avoir évacué les expatriés, le Rwanda fut abandonné à son sort.

En 2000, Guy Verhofstad­t, qui était alors Premier ministre, vint demander pardon au Rwanda, au nom de son pays et de son peuple.

La justice rattrape ainsi Laurent Bucyibarut­a qui vivait en toute tranquilli­té en France depuis 28 ans.

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