Luxemburger Wort

Windsor ou Glücksbour­g?

Les origines allemandes de la famille royale anglaise

- Par Benoît Reiter

Tout le monde sait que la famille royale britanniqu­e s’appelle Windsor. Cela nous a été rappelé à de nombreuses reprises lors du récent jubilé de platine de la reine Elizabeth II (née en 1926). On pourrait donc supposer que la dynastie anglaise est originaire de la petite cité de Windsor et réside depuis des temps immémoriau­x dans l’impression­nant château dont les origines remontent à Guillaume le conquérant. Or, il n’en est rien. Il est en plus étrange de noter que certains membres de la famille royale portent un nom composé, à savoir Mountbatte­nWindsor, la dénominati­on familiale ne figurant qu’en deuxième position. Nous allons essayer de remonter les pistes des noms de famille et des origines des membres de cette dynastie royale. La recherche nous permet de naviguer à travers plusieurs siècles d’histoire européenne, grâce à des familles allemandes ayant régné ou régnant encore sur un grand nombre de pays de notre continent.

Les Saxe-Cobourg et Gotha à l’assaut des trônes européens

Le roi Georges V (1865-1936), grand-père de l’actuelle souveraine Elizabeth, était un membre de la dynastie de Saxe-Cobourg et Gotha, d’origine allemande. En effet, son grand-père, le prince Albert de Saxe-Cobourg et Gotha (18191861) avait épousé en 1840 la reine Victoria (1819-1901), sous les auspices de leur oncle commun, le premier roi des Belges Léopold Ier (17901865). Etant donné que le nom de famille est traditionn­ellement celui du père, les descendant­s et successeur­s de Victoria et d’Albert, Edouard VII (1841-1910) puis George V (voir fig. 1), s’appelaient Saxe-Cobourg et Gotha.

Cette maison souveraine, par ailleurs ellemême une branche cadette d’une dynastie majeure du Saint-Empire romain germanique, la maison de Wettin, ducs et princes-électeurs de Saxe depuis 1423, connut une fortune incroyable au 19e siècle. Alors qu’elle régnait sur un minuscule duché allemand, elle a pu placer deux des siens sur des trônes européens nouvelleme­nt créés, à savoir celui de Belgique (l’oncle Léopold Ier en 1831) après la guerre d’indépendan­ce contre les Pays-Bas du nord et celui de Bulgarie en 1887 en la personne du prince Ferdinand (1861-1948). Ce Ferdinand devint prince souverain de Bulgarie après un coup d’Etat pro-russe destiné à évincer le premier prince régnant d’une Bulgarie libérée du joug ottoman, Alexandre Ier (1857-1893), issu de la famille de Battenberg, dont nous reparleron­s. La petite dynastie saxonne a également fourni deux princes consorts aux héritières de couronnes importante­s: un autre Ferdinand (18161885) est devenu prince consort puis roi consort sous le nom de Dom Fernando II suite à son mariage en 1835 avec la reine du Portugal Marie II (1819-1853) alors que le prince Albert a épousé la puissante monarque britanniqu­e.

Aujourd’hui encore, le roi des Belges fait référence dans ses armoiries à celles des Saxe-Cobourg et Gotha et les membres de la famille royale qui ne portent pas le titre de prince de Belgique sont titrés «princes de Saxe-Cobourg et Gotha» et «duc de Saxe». L’ancien tsar Siméon II de Bulgarie, né en 1937 et roi de 1943 jusqu’à son renverseme­nt par les communiste­s en 1946, par ailleurs Premier Ministre de la Bulgarie républicai­ne et démocratiq­ue de 2001 à 2005, porte le nom de famille de «Sakskoburg­gotski». Le Portugal constitue une exception notable à cette transmissi­on du nom de famille des Saxe-Cobourg et Gotha, la famille royale ayant continué à s’appeler Bragance, vu la possibilit­é accordée aux femme portugaise­s de transmettr­e leurs titres et leurs noms aux filles, faute d’héritier masculin.

La maison de Hanovre

En Angleterre donc, les Saxe-Cobourg et Gotha avaient remplacé une autre dynastie allemande, la maison de Hanovre régnant sur l’île à partir de 1714, en la personne de Georges Ier (1660-1727), jusqu’en 1901. La reine Anne (16651714) était la dernière souveraine britanniqu­e issue de la maison écossaise des Stuart. Elle était mariée au prince Georges de Danemark (16531708) de la maison allemande d’Oldenbourg, dont nous reparleron­s, et était sans descendanc­e malgré ses dix-sept grossesses. C’était donc son plus proche cousin protestant, les catholique­s étant exclus de la succession royale par l’Acte d’établissem­ent de 1701, le duc Georges de Brunswick-Lunebourg et prince-électeur du Saint-Empire, qui succéda à la reine Anne. A partir de Georges Ier, les rois d’Angleterre étaient également princes-électeurs puis rois de Hanovre, et ce jusqu’en 1837, avènement de la reine Victoria. La loi salique étant en vigueur dans le royaume allemand, c’est l’oncle de Victoria qui devint roi de Hanovre. Notons au passage que la dynastie hanovrienn­e a perdu son royaume en 1866 dans le cadre de la guerre entre la Prusse et l’Autriche, comme ce fut le cas pour une autre maison souveraine, celle de Nassau.

La famille royale anglaise a changé de nom et adopté le patronyme de Windsor en pleine première guerre mondiale. Le sentiment anti-allemand monta au cours de la guerre et se dirigea notamment contre le duc régnant de Saxe-Cobourg et Gotha, Charles-Edouard (1884-1954), petit-fils de la reine Victoria et du prince Albert, héritier du duché saxon à l’âge de seize ans. Ce jeune prince portant le titre anglais de duc d’Albany s’engageait fortement en faveur de l’empire allemand contre l’Angleterre, en devant général de l’armée allemande et en excluant les membres non allemands de l’héritage du trône saxon. Une violente de bombardier­s fabriqués dans des usines du duché ayant fait de nombreuses victimes anglaises, les échos médiatique­s en résultant ont notamment fait comprendre au roi Georges V qu’il était nécessaire d’opérer en quelque sorte un «rebranding» en choisissan­t en 1917 comme nom de famille, à la place du patronyme de Saxe-Cobourg et Gotha, celui du plus prestigieu­x château royal anglais, à savoir Windsor. Il fallait à tout prix occulter toute proximité du roi avec l’Allemagne honnie. Notons que le duc CharlesEdo­uard a perdu ses titres anglais en 1919 et qu’il a été, plus tard, un nazi ardent.

Windsor contre Saxe-Cobourg et Gotha

Les Battenberg, de la Hesse grand-ducale à la Royal Navy

La famille royale anglaise a cependant bien d’autres ascendance­s allemandes. Le nom de famille du père se transmetta­nt traditionn­ellement aux enfants, les fils et successeur­s de Georges V, à savoir Edouard VIII (1894-1972), roi éphémère en 1936 puis duc de Windsor, et Georges VI (1894-1952), roi de 1936 à 1952, s’appelaient officielle­ment Windsor. Il en est de même pour la reine Elizabeth. Mais, la dynastie anglaise a-t-elle maintenant pris le patro

nyme du prince Philippe (1921-2021), époux décédé de la reine Elizabeth? Quand le jeune couple s’est marié en 1947, Philippe s’appelait Mountbatte­n. D’où vient ce nom ?

Certains Mountbatte­n avaient fait le même choix que le roi Georges V en cachant leurs origines allemandes en 1917. En effet, le prince Louis de Battenberg (1854-1921, voir fig. 2), frère cadet du premier prince souverain de Bulgarie Alexandre Ier mentionné plus haut et beau-frère du dernier tsar russe Nicolas II (1868-1917, avait déjà dû renoncer à sa charge de «first sea lord» (commandant général) de la Royal Navy en 1914 à cause de ses origines allemandes. En 1917, il avait également abandonné son nom allemand de Battenberg, son titre de prince et son prédicat d’altesse sérénissim­e pour adopter le nom de Mountbatte­n, traduction littérale de Battenberg, et pour devenir le premier marquis de Milford Haven. Il était le grand-père du prince Philippe.

Pour compliquer le dossier, signalons encore que les princes de Battenberg sont des membres de la famille souveraine de HesseDarms­tadt, dynastie ayant régné sur le Landgravia­t de Hesse-Darmstadt, principaut­é d’empire, puis sur le Grand-Duché de Hesse jusqu’en 1918. Les princes de cette famille descendent du Landgrave Philippe Ier «le Magnanime» de Hesse (1504-1567), ardent partisan de Martin Luther. Les Battenberg sont issus du mariage morganatiq­ue du prince Alexandre de Hesse et du Rhin (1823-1888), troisième fils du grand-duc Louis II de Hesse (1777-1848), avec la comtesse Julie von Hauke (1825-1895), titrée princesse de Battenberg.

Résumons: le nom d’origine de la famille royale anglaise avant 1917 est Saxe-Cobourg et Gotha, alors que le mari décédé de l’actuelle reine a porté en 1947 le patronyme de Mountbatte­n, dynastie dont le nom est Battenberg et qui est issue de la dynastie régnante de HesseDarms­tadt. Serait-ce donc le nom des enfants de Philippe et Elizabeth? Officielle­ment, la maison royale s’appelle toujours Windsor, alors que les descendant­s de Philippe et Elizabeth non titrés princes ont le droit de s’appeler Mountbatte­n-Windsor depuis 1960.

Si on écarte cependant ces artifices légaux, les choses se compliquen­t encore quand on sait que c’est la mère du prince Philippe, la princesse Alice (1885-1969, voir fig. 2 et 3), qui est née von Battenberg et qu’elle n’a jamais changé son patronyme en Mountbatte­n. Cette femme fascinante, sourde de naissance, infirmière lors des guerres balkanique­s, hospitalis­ée de force dans des hôpitaux psychiatri­ques au début des années 1930, nonne orthodoxe vers la fin de sa vie, proclamée «juste parmi les nations» en 1993, avait épousé le prince André de Grèce (1882-1944, voir fig. 3) en 1903. Le prince Philippe n’a porté lors de sa naissance ni le nom de sa mère, Battenberg, ni celui de Mountbatte­n, mais bien celui de son père. En effet, Philippe a lui aussi abandonné ses titres étrangers et changé son nom de famille, comme l’avaient fait avant lui le roi Georges V et son propre grand-père maternel, le prince Louis de Battenberg. Philippe ne s’appelait Mountbatte­n, comme son grand-père et comme son oncle maternel Louis Mountbatte­n (1900-1979), dernier vice-roi des Indes, que depuis 1947, peu de temps avant son mariage avec la future reine d’Angleterre. Avant cette date, il portait les titres de prince de Grèce et de Danemark, hérités de son père, le prince André, fils du roi Georges Ier (1845-1913) et frère cadet du roi Constantin Ier de Grèce (1868-1923). Après une carrière militaire controvers­ée et rendu responsabl­e de la défaite de l’armée grecque contre les Turcs de Mustafa Kemal en 1921, André menait une vie de play-boy et mourut à Monaco en 1944.

Mais comment peut-on naître à la fois prince de Grèce et de Danemark, deux pays géographiq­uement éloignés? Après la guerre d’indépendan­ce grecque contre l’empire ottoman, c’était un prince allemand de la maison bavaroise de Wittelsbac­h qui avait été choisi comme premier roi des Hellènes, Othon Ier (roi de 1833 à 1862). Face à un roi qui ne voulait pas se convertir à la foi orthodoxe et qui n’avait pas d’enfant, les Grecs se révoltèren­t et choisirent un nouveau roi en la personne du prince Guillaume du Danemark, fils du futur roi Christian IX du Danemark, issu de la famille allemande de Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksbour­g, appelée souvent aussi simplement Glücksbour­g. Guillaume devint Georges Ier, fondateur de la maison royale grecque et régnant sur la Grèce jusqu’à son assassinat à Thessaloni­que en 1913. Depuis lors, les princes de la famille royale grecque sont à la fois princes de Grèce et de leur pays d’origine, le Danemark.

Le prince Guillaume accéda au trône grec quelques mois avant que son père ne monte sur le trône danois, suite au décès sans enfant du roi Frédéric VII de la maison d’Oldenbourg, dynastie allemande dont les origines remontent au 11e siècle. Les Glücksbour­g constituen­t depuis le 16e siècle une ligne cadette de la dynastie d’Oldenbourg. Notons au passage qu’une autre branche des Oldenbourg, les Holstein-Gottorp,

est montée sur le trône russe avec Pierre III (1728-1762), tout en relevant le nom de l’ancienne dynastie des Romanov. Encore un changement de nom pour masquer ses origines allemandes, mais ceci est une autre histoire.

Notre brève excursion dans l’histoire compliquée des dynasties européenne­s nous montre que la maison de Windsor, dont certains membres s’appellent maintenant Mountbatte­nWindsor, censée représente­r une Angleterre typique et éternelle est en réalité d’origine largement allemande, avec les maisons de Hanovre, de Saxe-Cobourg-Gotha, de Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksbour­g, d’Oldenbourg ou encore de Battenberg/Hesse-Darmstadt. Si on s’en tenait à la transmissi­on traditionn­elle du nom de famille par le père et en ignorant les multiples «rebranding», les futurs rois d’Angleterre Charles, William et Georges devraient s’appeler, d’après le prince Philippe et son père le prince André, «Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksbour­g», ou tout simplement «Glücksbour­g». Peut-être que les Windsor pourraient adopter ce nom et l’angliciser pour s’appeler dorénavant «Castle of happyness»?

Les Schleswig-HolsteinSo­nderburg-Glücksbour­g

 ?? ?? La famille d’André et d’Alice de Grèce dans les années 1920, leur fils Philippe étant le 2e à partir de la gauche(fig. 3 ).
La famille d’André et d’Alice de Grèce dans les années 1920, leur fils Philippe étant le 2e à partir de la gauche(fig. 3 ).

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